Pour une fois, les professionnels de la presse font l'objet d'une grande sollicitude. En attendant les actes... Journaliste et écrivain, le nouveau ministre de la Communication Hamid Grine est, d'abord et avant tout, un "communicant". Invité mardi soir au Forum de Liberté, il n'a pas manqué de prendre résolument le taureau par les cornes et d'entrer rapidement dans le vif du sujet. Il abrégera, à cet effet, son laïus préliminaire au profit des nombreuses questions des journalistes présents en force. Ainsi, il sera, d'emblée, interpellé au sujet d'un journal qui a été "suspendu" et "privé" de publicité de la part de l'Agence nationale d'édition et de publicité (Anep) dont il a été longuement question durant cette soirée. S'agirait-il de sournoises représailles politiques ? Bien évidemment, non. Pour le ministre, il n'est question que d'une banale affaire commerciale. "Emarger à la publicité institutionnelle n'est pas un droit constitutionnel que je sache. Dois-je de nouveau préciser que jusqu'à présent, je ne me suis jamais impliqué dans l'Anep ? Je suis concepteur-rédacteur et spécialiste du plan-médias. J'ai donc une inclination qui aurait pu me pousser à m'intéresser à l'Anep. Je ne l'ai pas fait. C'est une question de méthodologie. Cette entreprise ayant ses propres critères et ses objectifs de communication, ce titre ne semblait plus être un support viable pour l'annonceur. Par ailleurs, je ne veux pas révéler le montant de la dette que doit ce journal à l'imprimerie..." Il faut dire que depuis son arrivée, Hamid Grine a donné un grand coup de pied dans la fourmilière. À commencer par les imprimeries d'Etat s'agissant du recouvrement de leurs créances. "Je leur ai donné des instructions. Résistez à toute forme de pression et d'interventionnisme, soyez équitables, n'épargnez personne et préconisez un traitement technique et non pas politique des situations qui se présentent. Je leur ai promis, pour ma part, de les protéger !" Et d'annoncer déjà que depuis un mois, 20 milliards de centimes ont pu être récupérés sur une ardoise globale de 400 milliards (!) Et ce n'est pas tout, le ministre révélera que huit journaux ont décidé, eux-mêmes, de ne plus être publiés. "La plupart se sentent soulagés car ils laissent des ardoises qui vont pour l'un jusqu'à 17 milliards de centimes." Après cette annonce chiffrée qui laisse pantois, le ministre minimise la situation. "Il y a des journaux que personne ne lit. S'ils disparaissent ce ne sera pas une perte." Ainsi, on en est réduit à cela, puisque, à en croire le ministre, les choses seraient encore beaucoup plus graves. "Il y a des journaux qui sont criblés de dettes et dont les éditeurs, les individus, c'est-à-dire les patrons ont des biens et une richesse remarquable. Je ne veux pas citer de noms, mais ils sont très nombreux à être riches et même très riches. Ils sont riches et leurs journaux sont pauvres. Ils s'enrichissent et leurs journalistes s'appauvrissent." "On ne prêche pas des convertis", aurait pu convenir une bonne partie de l'assistance. Mais, au-delà des journalistes, à qui s'adressaient ses propos, tous les Algériens doivent se sentir, eux aussi, spoliés au premier chef. Car ce n'est ni plus ni moins qu'un détournement de deniers publics dont il s'agit. Une fortune qui sent l'encre de l'imprimerie et le pétrole qui a servi à l'importer. Dans le milieu des "Tayabette el-hamam", tout se sait ou finit par se savoir. Il y a ainsi des éditeurs qui, dit-on, ont investi à l'étranger, particulièrement en France et en Espagne, beaucoup dans l'immobilier, certains dans les chevaux de course, d'autres dans le revêtement des sols et dans le commerce. Certains voulant jouer aux originaux ont préféré le créneau de la culture mais seulement comme paravent à d'autres placements bien plus lucratifs sans compter le fait qu'ils ont eu, au vu et au su de tout le monde, table ouverte dans les restaurants les plus huppés de la capitale. Enfin, et on l'aura compris, "l'aventure intellectuelle" s'est soldée, dans ce cas-là, par une arnaque très terre à terre. Le ministre se désole surtout du "soutien apporté par des journaux réputés sérieux et professionnels à des canards boîteux. S'ils se sentent autant solidaires, ils devraient mettre la main à la poche et les aider à payer leurs dettes", suggère-t-il, non sans ironie. Appelé à donner sa définition du "professionnalisme" dont il fait son cheval de bataille, Hamid Grine a préféré d'abord mettre l'accent sur la responsabilité des éditeurs. "C'est d'abord une entreprise économique avec une comptabilité saine, une gestion des ressources humaines, des journalistes payés correctement et disposant toujours d'une couverture sociale." Se voulant un peu plus précis, il considère la "presse professionnelle" comme une "presse responsable". "J'ai appris une chose dans ce métier, il n'y a pas de morale, il y a des faits. Le journaliste ne fait pas de morale. Il est moral. Il doit prouver ce qu'il dit." Il renouvellera, par ailleurs, à cette occasion, son appel à l'ensemble des acteurs impliqués dans la chaîne de production de l'information adhérer à ce qu'il nomme "le cercle vertueux". "La vertu commence par l'annonceur et finit chez le journaliste en passant par l'éditeur." L'ami des journalistes Interrogé sur ses relations avec les éditeurs qu'on imagine sans peine très tendues, Hamid Grine préfère botter en touche. "J'ai reçu pratiquement jusqu'à présent une trentaine de directeurs de journaux. Je n'ai senti aucune résistance de leur part. Ils sont tous pour le professionnalisme. Ils ont tous cette volonté d'assainissement ou plutôt de mise à niveau. Ils adhèrent complètement à cette nécessité de développer l'outil de production et la formation, de respecter la déontologie. Je n'ai, finalement, rien proposé d'autre que ceux que les éditeurs eux-mêmes demandent." Faut-il encore, tout de même, ajouter que tout ce beau monde parle bien de la même chose. Et puis, d'abord, le ministre a pris le parti de s'allier aux journalistes. "Je suis ami avec tous les journalistes, mais je ne suis pas l'ami de tous les éditeurs. La nuance est de taille. Je m'inscris dans une démarche vertueuse. Je ne peux être l'ami d'un directeur qui exploite ses journalistes. Je serais complice." Jamais à court d'arguments, il continuera à caresser dans le sens du poil les journalistes, objet, pour une fois, d'une grande sollicitude. "La condition du journaliste m'interpelle. Le journaliste apporte une plus-value qui est accaparée par le propriétaire. Le journaliste est le moteur de l'activité. Il est au cœur du métier. Il faut refonder la relation éditeur-journaliste." Des déclarations qui mettront du baume au cœur. Par moment, le ministre appellera presque les journalistes à s'indigner : "Organisez-vous pour constituer une force de proposition. Sinon, si vous êtes contents de votre sort faites le savoir." Il faut dire qu'ils sont bien rares les titres à disposer d'une section syndicale ou d'une plateforme de revendications. "Ailleurs, on parle de société de rédacteurs. C'est un rapport de force constant. Il faut toujours négocier." Il précisera, toutefois, qu'il ne lance pas un "appel à la révolte". Questionné sur son empressement et sa détermination à s'attaquer de front à la presse écrite en laissant de côté les nouvelles télévisions, objet de moult controverses, le ministre souligne qu'en attendant une autorité de régulation de l'audiovisuel, son ministère continuait à gérer. "La priorité est allée, toutefois, à la presse écrite, car c'est un milieu caractérisé par un désordre salarial, social et professionnel." Il révélera qu'il a rappelé récemment à l'ordre deux chaînes de télévision et dévoilera l'existence de cinq autres qui travaillent, de son propre aveu, "sans accréditation". "Ce sont des télévisions de droit étranger et dirigées par des Algériens. Elles ne sont pas illégales. Nous avons un seuil de tolérance. Nous n'avons pas senti la nécessité de les interdire", explique-t-il. Quant à la Télévision nationale, communément appelée l'Unique, le ministre s'est montré aussi alarmant qu'indulgent à son égard. D'une manière générale, le service public est encore marqué, selon lui, par la "censure personnelle". "Certes, le service public n'insulte pas et s'inscrit dans le cercle vertueux, mais il doit être plus précis et plus agressif." On apprendra ainsi que sur les 4 000 employés de la Télévision nationale, à peine un quart sont des "créateurs" ou des "journalistes" et que la masse salariale représente 110% du chiffre d'affaires. "On a hérité d'une grosse machine. Il y a des contraintes objectives, mais aussi des réflexes qui doivent changer", conclut le ministre. "Je ne suis pas Ghani Gedoui" Face à des inquiétudes exprimées au sujet de la délivrance de la carte professionnelle de presse "à la tête du client", le ministre se montrera plutôt rassurant. Jugeons-en : "Est journaliste toute personne qui peut justifier sa situation." D'après l'invité de Liberté, la carte de presse va faciliter "l'accès aux sources" et procurera, éventuellement, aux journalistes un certain nombre "d'avantages". "Les journalistes seront gagnants. Nous réfléchissons même à leur donner des atouts notamment en matière de mobilité. C'est une idée dans l'air..." Il laissera entendre, en revanche, la possibilité que la carte de presse ne soit pas délivrée pour certains directeurs de journaux. "Le journaliste même s'il n'est pas vertueux, on peut le changer, le directeur non", renchérit-il. Décidément, sa charge contre les éditeurs n'est pas près de s'achever. Veut-il les intimider à ce point ? "Non, ce ne sont pas des menaces, mais des recommandations à visage découvert !" Mais d'où vient cette "vindicte" ? Pour tenter une explication, nos lecteurs saisiront tous le sens de cet adage populaire : "Qui est ton ennemi ? Ton confrère." Non seulement Hamid Grine a longtemps exercé le métier de journaliste, mais il a été aussi de l'autre côté de la barrière en s'occupant, notamment, sur plus d'une décennie, de la communication. Il sait donc qui est qui dans la profession, qui est "pique-assiette" et qui ne l'est pas. À ce titre, il s'avère être, pour certains, un redoutable gêneur, un empêcheur de détourner des ronds. Ministre, parlant du marché de la publicité, Hamid Grine évoque, sans ambages, un véritable "marécage". Il place beaucoup d'espoir dans un projet de loi qu'il aimerait voir aboutir en janvier prochain. Il est à parier que cet engagement de Hamid Grine, unique dans les annales, lui aura valu, comme l'on s'en doute, quelques quolibets : "Dès que j'ai été nommé, on m'a critiqué, calomnié et insulté sur les réseaux sociaux. J'ai été traité de tous les noms. Je ne suis pas Ghani Gedoui (pseudonyme d'un chroniqueur qui s'est illustré sur la Toile par une grande flagornerie à l'égard du président Bouteflika, ndlr). Quand j'écris, j'ai l'habitude de poser des questions et de faire de l'humour. Ce que j'assume entièrement. Mais il se trouve que ce n'était pas moi." Sur ce chapitre, il partage une déclaration de Pierre Péan, le grand journaliste d'investigation, invité récemment à Alger : "J'ai reçu des menaces de mort mais ce qui m'a fait le plus mal ce sont les articles relayés sur les réseaux sociaux, c'est une souffrance morale sans fin." D'une certaine manière, le ministre se dit affecté par cette levée de boucliers que certains estiment qu'il l'a bien cherchée. Sans y voir de la malice, un journaliste fera rappeler au nouveau ministre-écrivain que le maroquin de la communication est, en Algérie, un siège très éjectable. "Il ne fera pas long feu", tel est justement le titre de l'un de ses romans. Le département ministériel en question, ultra-sensible, s'il en est, n'est occupé en moyenne que 13 à 14 mois par son titulaire. De ce point de vue, Hamid Grine n'en est qu'au début et il aura du pain sur la planche. Aura-t-il le souffle long ? Comme en littérature, il se montrera à cet égard passablement philosophe. "Quand je vois chaque matin les portraits de mes prédécesseurs, cela me recadre et me fait oublier mes ambitions. Oui, je ne suis qu'un passant !" Dans le pur esprit de son essai : "Cueille le jour avant la nuit", paru en 2005, l'écrivain signe et persiste : "Je suis un stoïcien. Je vis dans l'instant. Le passé n'existe pas, le présent non plus. Je n'ai que le bel présent, disait Sénèque. Ce qui m'intéresse. C'est ce que je fais, ici et maintenant !" M-. C. L. Nom Adresse email