Ce n'est pas par nostalgie des années soixante-dix... mais le monde a changé. Ramadhan a changé. Le musulman a changé. Le voisin a changé. Le sourire a changé. Le pays a changé. Le beur a changé. Zlabiya a changé. En somme Dieu a changé. Ce n'est pas par nostalgie du Ramadhan des années soixante-dix... mais jadis l'appel à el Iftar avait une autre musique. Notre muezzin avait une belle voix, des cordes de miel. Elle faisait concurrence à celle d'Abdelhalim Hafez ou à celle d'Oum Kalsoum. Notre muezzin n'avait même pas besoin d'un haut-parleur. Il mettait sa main sur son oreille droite et lève sa voix et tout le monde du village l'entendait. Il n'avait pas besoin de crier. La petite mosquée du village se remplissait de prieurs. Dans cette demeure d'Allah, les voleurs de chaussures n'avaient pas de place. Les téléphones portables ne sonnaient pas à chaque prosternation. Ce n'est pas par nostalgie du Ramadhan des années soixante-dix... mais j'adorais écouter les Histoires des apôtres et des prophètes racontées par mon père Hadj Si Benabdallah, Allah Yrahmou : Sidna Ibrahim, Sidna Moussa, Sidna Aïssa, Yakoub, Younes, Youssef, Nouh, Marième et d'autres. Comme à chaque Ramadan, avec impatience et bonheur, on attendait la venue de mon oncle l'immigré en France. Son congé annuel était tout le mois sacré. Avec mon oncle c'était la fiesta ! Il nous racontait des histoires de roumiyate, de bars, de métro et d'autres choses prohibées. Autour de lui, on riait jusqu'à l'heure du shour. Il était fantastique, cet oncle Allah Yrahmou. Les aînés nous interdisaient de jeûner. Cela signifie aussi qu'il nous était interdit de se lever pour le shour. Depuis ma couchette, la tête au-dessous de la couverture, avec grande envie, je suivais le mouvement du shour. Et j'attendais le jour où je serai grand pour jeûner et pouvoir me lever au shour ! Ce n'est pas par nostalgie du Ramadan des années soixante-dix... mais jadis nous avions une télévision en noir et blanc. Et ce qui passait à l'écran était beau et plaisant : l'inspecteur Tahar, Kaci Tizi Ouzou, Krikech, Cherif Khaddam, Zoulikha, H'didouane et Ahmed Bedjaoui avec son ciné-club... Par ses pièces théâtrales, la radio nous fascinait, Boubegra, Foudala et le poète Lakhdar Essayhi avec son émission satirique "Alwane"... Et on écoutait Fairouz la chrétienne chantait l'amour du Dieu, la fraternité des religions et Jérusalem. Chaque Ramadan je relisais "le Prophète" de Gibran Khalil Gibran. Je le considérais comme Livre révélé à l'image des autres Livres monothéistes : La Torah, la Bible et le Coran. Ramadhan fut aussi l'occasion pour une autre lecture : Ainsi parla Zarathoustra de Nietzche. Ce n'est pas par nostalgie du Ramadhan des années soixante-dix... mais pendant ce mois on lisait des romans roses, des polars, de la poésie, de la Cira et le Coran. Ce n'est pas par nostalgie du Ramadhan des années soixante-dix... mais la vie avait un autre goût. L'arôme du café. Les senteurs des épices. L'odeur parfumée du savon d'Alep dégagée des vêtements des femmes. On avait le sourire grand. Et le rêve avec des langues ailes. Les jeûneurs n'avaient pas l'œil sur les non-jeûneurs. Les Algériens vivaient dans un grand pays appelé l'Algérie. Ce n'est pas par nostalgie du Ramadhan des années soixante-dix... mais nous avons perdu la culture de la différence et du respect. Aujourd'hui, au nom de la religion, pendant le mois du Ramadhan, nous cultivons les guerres, les haines, Ghardaïa, le Calife Abou Bekr El Baghdadi, Daech, Sunna, Chi3a, l'hypocrisie et les mensonges. A. Z. [email protected] Nom Adresse email