Si l'affichage de la liste des bénéficiaires de logements sociaux, il y a un mois, avait commencé par susciter, partout à travers la commune, une grande liesse ponctuée par des youyous stridents émanant de chacun des quartiers, les jours suivants ont été marqués par un déferlement de colère et un déchaînement de violence rassemblant les contestataires surchauffés par les effets d'un soleil de plomb et surexcités du fait du jeûne (effets du manque en café, tabac...). Parmi ces derniers, il y avait des citoyens profondément déçus, visiblement très affectés mais calmes et dignes, des femmes et des hommes qui criaient à l'injustice, des agitateurs de tous poils auxquels se seraient joints des revanchards et des "envieux" ("pourquoi mon voisin et pas moi ?" "Pourquoi mon frère et pas moi ?" "Pourquoi mon fils et pas moi ?" "Ils ont donné aux femmes !", "Ils ont donné aux voyous !"...), selon des bénéficiaires qui n'ont pas hésité à s'en prendre aux contestataires : "Ils ont donné aux zouaoula (les gens de condition modeste), n'en suis-je pas un, moi ? Pourquoi faites-vous ça ? Entouma hassadin ! (vous êtes des envieux)", criait, au bord des larmes, un jeune père de famille à l'endroit d'un groupe d'émeutiers occupés à forcer les grilles de la daïra, pendant que d'autres brûlaient des pneus et autres objets combustibles, sur des artères du centre-ville. Si le siège de l'APC, saccagé, a subi des dégâts non négligeables, le plus déplorable reste l'acharnement sur les deux lionceaux qui embellissaient l'entrée de l'édifice. La population, dans sa majorité, a déploré cette "culture nouvelle de la casse et du vandalisme" où elle ne se reconnaît pas : "Nous avons honte, les gens d'El Affroun ce n'est pas ça !", a tenu à nous dire un homme âgé. Un jeune, de son côté, s'en est pris à un casseur : "que t'ont fait ces lions ? Est-ce eux qui ne t'ont pas donné de logement ?". Un autre nous avouera, en les pointant du doigt : "les parents de ces deux lanceurs de pierres ont bénéficié, par le passé, de logements qu'ils ont vendus". Un sexagénaire, fils de chahid, l'air peiné, dira : "ou dhork, hotto dhboaa fi madhrab essbouaa elli tayyahtouhom!" (et maintenant, posez des hyènes à la place des lions que vous venez d'abattre ! - l'hyène ayant la réputation d'être, chez nous, une bête lâche et immonde. Ces lionceaux à la robe d'or, réplique des deux lions qui trônent sur la place publique, de part et d'autre des marches d'escaliers sur lesquels étaient souvent exposés, durant la guerre de libération, les corps ensanglantés et à moitié nus de martyrs, sont l'œuvre d'un sculpteur égyptien, le défunt cheikh Ridha, alors instituteur à l'école de garçons Si Hamdène, dans les années 60-70. "Ces lions qui se voulaient un symbole du courage et de la bravoure de la population d'El Affroun durant la guerre de libération, avaient été commandés par l'APC de l'époque au sculpteur égyptien. L'idée nous avait été inspirée par les lions de la mairie d'Oran", nous a appris Si Madjid Nouas, 84 ans, ancien moudjahid et ancien secrétaire général de la mairie d'El Affroun. Les deux lionceaux tombés à coups de pierres et de barres de fer ont vécu 46 ans. Témoins d'innombrables évènements, de plusieurs distributions de logements, ils avaient survécu aux intempéries, à plusieurs séismes... Ils ont fini par être abattus par des adolescents, des enfants sous l'œil approbateur de certains adultes. Ils constituaient un repère pour les gens de passage. Ils laissent un vide au bout de chacune des rambardes de l'escalier de la mairie – vide que compte combler l'actuel PAPC, Faïçal Medjadji, lui dont le père, Tahar, était maire de la commune et, bien avant lui, le grand-père Si M'hamed (homme du culte, ancien moudjahid et père de chahid), pour qui ces lions étaient tout un symbole. Celui, aujourd'hui, d'un passé révolu. On achève bien les héros. Nom Adresse email