Trois ans après l'intervention internationale, diligentée par l'ex-président français Nicolas Sarkozy, la Libye plongée dans le chaos, représente "la menace" dans une région déjà assez explosive, avec le risque de voir le terrorisme reprendre du poil de la bête. Et il ne faut pas perdre de vue que la montée de la violence dans ce pays pétrolier et à population réduite n'est pas que le fruit de dissensions internes. Des pays utilisent ses tensions comme levier pour affirmer leur influence dans la région. Le Qatar, par exemple, soutient la milice proche des Frères musulmans. L'Algérie, pour sa part, suit avec préoccupation l'aggravation de la situation politico-sécuritaire en Libye dont elle partage une frontière d'un millier de kilomètres dans une zone désertique, difficile à boucler même avec des moyens de surveillance sophistiqués. Notre voisin, qui n'a jamais été aussi proche de la partition que depuis l'existence de deux Parlements et de deux gouvernements illustrant et où les rapports de force sur le terrain ont déjà établi une nouvelle réalité consacrant, dans la pratique, cette division tant redoutée, menace à vrai dire tous ses voisins, à l'Est, l'Egypte, dans le Sud, le Niger et le Tchad et à l'Ouest, plus haut que l'Algérie, la Tunisie. Pourtant, rien ne concourait diviser ce pays tant par sa géographie qui en fait un pays dont les extrémités sont liées naturellement que par les similitudes des composantes de son peuple en dépit de la nature tribale de sa société, compensée par la religion unique, l'Islam qui en constitue le ciment, comme dans le reste du Maghreb. L'existence de minorités amazighe, touareg et toubou, n'avait jamais constitué une menace de partition, malgré la montée de leurs revendications pour la prise en considération de leurs spécificités culturelles à la faveur du vent de liberté qui a soufflé sur le pays après la chute du régime de Kadhafi qui les a longtemps opprimées. Ces revendications cultuelles ont, par ailleurs, été mis en parenthèse dès décembre 2013 lorsque s'ouvrait le bras de force entre les courants libéral et islamiste au sein du Congrès général national (CGN). Le Parlement, qui avait nommé à la tête du gouvernement Ali Zeidan, a débouché sur une entière paralysie du pays. Un nouveau CGN a été élu mais la crise s'est aggravée avec sa contestation par les membres de l'ancien Parlement, et de l'ancien gouvernement y afférent. Au point où la Libye se retrouve aujourd'hui avec deux gouvernements et deux Parlements ! Le pays est à deux doigts de basculer dans la guerre civile tant les antagonismes se sont approfondis et les positons plus tranchées entre les protagonistes en présence qui se disputent par la voie des armes. Depuis la prise du contrôle de l'aéroport de Tripoli le 23 août par les troupes de "Fadjr Libya", une coalition de groupes armés, notamment de Misrata issus du courant de l'islamisme politique ainsi qu'une grande partie de l'Est dont Benghazi, d'où était parti le "printemps de Tripoli" (2010-2011) sous le contrôle du conseil de la choura des révolutionnaires de Benghazi qui regroupe Ansar Asharia et d'autres milices islamistes. Avec la défaite des milices des ex-rebelles de Zenten, des pro-libéraux et nationalistes qui étaient chargés après la chute de Kadhafi de sécuriser la capitale, la donne a changé dans le puzzle libyen. Les islamistes qui ont déclenché l'offensive militaire le 13 juillet contre l'aéroport, pour, apparemment "compenser" leur cuisante défaite aux élections parlementaires du 25 juin, contrôlent désormais la capitale Libyenne et une grande partie de l'ouest jusqu'à la frontière avec la Tunisie, à l'exception de la ville de Zenten et certaines villes environnantes. Le groupe Zenten dirigé par Haftar, ex-général de Kadhafi qui avait rejoint le "printemps de Tripoli", initialement soutenu par les Etats-Unis, avait promis de "libérer la Libye du terrorisme". Sur le terrain, les islamistes revendiquent leur main mise sur les trois quarts du pays qui est désormais hors contrôle de l'Etat libyen, ce qui les a poussés à faire refaire naître le CGN dont le mandat a pris fin le 25 juin et dont la majorité leur était acquise. Le nouveau Parlement qui s'est installé depuis le 4 août à Tobrouk dans l'Est, bénéficie quant à lui d'une large reconnaissance de la communauté internationale. L'installation du CGN et du gouvernement à Tobrouk, qui ont reconnu que les institutions et ministères à Tripoli ne sont plus sous leur contrôle, consacre de fait la partition de la Libye. Les islamistes ont annoncé s'activer pour récupérer cette région orientale qui échappe encore à leur contrôle. Le président du CGN dans sa version d'avant le 25 juin, Nouri Aboushemein, s'est rendu dans plusieurs capitales des pays voisins, l'Algérie et le soudan, en plus de la Turquie, à la recherche d'appuis extérieurs en prélude à une reconnaissance par l'étranger de la légitimité du pouvoir évincé en juin. Si notre pays, fidèle à sa doctrine, a réitéré son attachement à la non-ingérence dans les affaires intérieures de la Libye, la Turquie de Recep Tayyip Erdogan, promu président après avoir remporté les élections en août dernier, est revenu sur sa reconnaissance du nouveau Parlement, suscitant le courroux des autorités libyennes. Le général-président de Khartoum, Omar el-Béchir — toujours sous le coup du mandat d'arrêt de la Tribunal pénal international (TPI) pour crimes de guerre au Darfour — a lui aussi apporté son soutien à Nouri Aboushemein l'assurant de son attachement à une passation du pouvoir selon les dispositions de la Déclaration constitutionnelle, Loi fondamentale de transition en Libye, l'argument défendu par le camps islamiste pour justifier leur rejet de la légitimité du Parlement installé à Tobrouk. Chaque camp campe ainsi sur ses postions et la volonté de chacun d'en découdre par les armes ne laisse aucune chance au dialogue tant escompté par des pays voisins dont l'Algérie, la Tunisie et l'Egypte, les Nations unies et les partenaires occidentaux de la Libye pour trouver une issue pacifique à la crise. Les menaces de sanctions ciblées contre les individus et entités décidées par la résolution du Conseil de sécurité (27 août) qui a demandé un cessez-le-feu immédiat, n'ont pas dissuadé les émirs de la guerre pour déposer leurs armes. Au contraire, le responsable de la Banque centrale de Libye vient d'avouer subir des pressions de la part des deux camps pour financer leurs activités... Et cette situation est significative, s'il en faut, du glissement de la Libye vers la guerre civile et sa partition. En attendant cette explosion, les civils sont pris en tenailles par les belligérants : ils ont payé le prix fort des violences de seigneurs de la uerre, aussi bien en termes de pertes en vies humaines, que de déplacements hors des théâtres de confrontation et de pénuries d'essence, d'électricité, de produits alimentaires et de médicaments. Le nouvel émissaire onusien en Libye, l'Espagnol Bernardino Leon, qui semblait jouir d'un respect des protagonistes avec lesquels il a déjà pris contact, est aujourd'hui sans voix. La phase que traverse la Libye est gravissime et exige d'agir vite au risque de voir les choses s'envenimer en faisant plonger le pays dans la guerre civile dont les conséquences seront incalculables pour la région, selon des responsables des pays du voisinage, dont le nôtre. D. B Nom Adresse email