Selon l'ex-chef de gouvernement, des centaines de décrets attendent la signature du chef de l'Etat et une dizaine d'ambassadeurs de pays étrangers leurs lettres de créances pour pouvoir entamer leurs fonctions. Débordant d'activités depuis sa "défaite" à la présidentielle d'avril dernier, l'ancien chef de gouvernement, Ali Benflis, vient de monter d'un cran son opposition frontale au président Bouteflika. Hier, à l'occasion d'une conférence de presse animée au siège de sa permanence à Ben Aknoun pour présenter son Livre blanc sur la fraude, le candidat malheureux aux présidentielles de 2004 et 2014 a remis sur la table la lancinante question de la vacance du poste de président de la République. "L'Algérie est face à une vacance de la première institution de la République. Les affaires du pays sont à l'arrêt. L'Assemblée nationale ne travaille pas parce que la présidence est en panne", déplore-t-il. M. Benflis énumère toute une série de faits qui attestent la véracité de son constat. "L'Algérie est le seul pays au monde où les conseils des ministres se tiennent que 3 à 4 fois maximum par an", regrette-t-il. "Et quand un Conseil des ministres se tient, on nous le présente comme un exploit, alors que dans les pays voisins, c'est une chose normale", souligne-t-il. Autres pièces à charge communiquées par Benflis pour attester de la vacance du pouvoir en Algérie : des centaines de décrets à ce jour non signés par le chef de l'Etat et une dizaine d'ambassadeurs de pays étrangers attendent toujours leurs lettres de créances pour pouvoir entamer leurs fonctions. Allant au bout de son raisonnement, l'ancien chef de gouvernement estime que "l'Algérie vit une vacance de pouvoir depuis toute une décennie", faisant certainement allusion à la maladie de Bouteflika depuis son évacuation, en décembre 2005, à l'hôpital militaire parisien du Val-de-Grâce. Cette situation n'a-t-elle pas débouché sur un effritement du centre de décision au sommet de l'Etat ? "Je n'ai pas d'informations sur cet effritement. J'ignore qui est le centre de décision, mais j'entends les gens parler d'une multiplication des centres de décisions", rétorque-t-il. Interrogé par un journaliste sur la partie qui pourrait imposer l'application de l'article 88 de la Constitution en dehors du Conseil constitutionnel et de l'Assemblée nationale qui, de son propre avis, sont "ligotés", Ali Benflis élude la question en répondant : "Je suis un homme politique, je fais part de mes opinions à l'opinion publique. Il y a des institutions qui sont habilitées à appliquer cet article." Quid d'une succession dynastique à la tête du pays ? M. Benflis a un avis bien tranché. "La présidence à vie et la succession dynastique sont la résultante de la révision constitutionnelle de novembre 2008", estime-t-il. "La cooptation du frère du Président ou d'une autre personnalité proche de lui à la tête du pays est le produit de la catastrophe de novembre 2008 quand on avait fait sauter le verrou constitutionnel limitant les mandats présidentiels", insiste-t-il. Une chose, aux yeux de M. Benflis, l'Algérie connaît une crise de système qui "vit ses derniers jours". La solution ? Du point de vue de l'ancien chef de gouvernement, il y a une seule voie : construire une nouvelle légitimité qui ne peut être le fait que d'élections libres et transparentes. Cela passe, explique M. Benflis, par le dessaisissement du ministère de l'Intérieur de la gestion de toutes les opérations électorales et la confier à une commission indépendante qui sera mise en place par le pouvoir et l'opposition. "L'opposition a décidé de ne pas faire de faux témoignage à l'avenir. On ne prendra part à aucune élection si une commission indépendante n'est pas installée", assure-t-il. Evoquant les raisons de la publication de ce Livre blanc sur la fraude qui a éclaboussé la présidentielle d'avril 2014, M. Benflis s'est lavé les mains de toute intention "insurrectionnelle''. "Je suis un homme pacifiste, la parution du Livre blanc n'a pas pour ambition de bouleverser les choses. C'est un travail de pédagogie politique", explique-t-il. Il n'estime pas moins que la fraude est "une atteinte à l'intégrité de l'Etat et un crime contre la nation" et que son Livre blanc a pour but de dire : "Assez à la fraude qui menace l'Etat dans ses fondations." Au-delà de son devoir de témoignage, l'ancien chef de gouvernement a invoqué un engagement pris devant le peuple pour justifier la parution de son Livre blanc sur la fraude. "J'ai pris un engagement devant le peuple, je l'ai honoré", dit-il. Et Benflis de lancer fièrement : "Je n'ai pas quitté la scène politique, je suis droit dans mes bottes."