Le quatrième appel d'offres lancé par Alnaft au mois de janvier de cette année vient de s'achever par l'attribution de licences d'exploration pour quatre périmètres sur les trente et un proposés à la concurrence. Le moins que l'on puisse dire est que les résultats sont très en deçà des attentes. Je voudrais par cette contribution essayer de mettre la lumière sur les principales raisons qui ont pu mener à ce résultat, somme toute prévisible. Ayant été impliqué de manières directe ou indirecte auprès de quelques compagnies pétrolières lors des évaluations et des négociations entre elles pour former d'éventuels consortiums, j'ai pu relever quelques obstacles et craintes, sûrement pas les seules, qui ont pu être à l'origine de ce résultat, et dont il sera tenu compte, j'espère, lors du prochain appel d'offres afin de rectifier le tir. Contrairement à ce qu'on peut croire, la situation sécuritaire n'a pas ou presque pas été évoquée comme un obstacle à la recherche et la production pétrolière en Algérie. Les compagnies pétrolières ont l'habitude d'opérer dans des contextes autrement beaucoup plus complexes comme en Irak ou au Yémen, pourvu que l'environnement sécuritaire ne soit pas méconnu ou imprévisible comme en Libye actuellement. Une foi le risque identifié, l'adéquation risque-moyens de protection est évaluée par les services spécialisés et les moyens adéquats mis en place. Le volet sécuritaire mis à part, nous pouvons regrouper les obstacles qui sont à l'origine de ces résultats en trois catégories : économique, juridique, et d'autres, non de moindre importance que je nommerai "divers". 1- Obstacles économiques Il est certain que la nouvelle loi 13-01 relative aux hydrocarbures a apporté des améliorations significatives par rapport à la précédente 05-07, surtout quand il s'agit les gisements marginaux ou isolés ou des hydrocarbures non conventionnels. Plutôt que d'être basée sur le revenu brut d'un projet, la taxe est désormais calculée sur la base du profit brut. Cette révision est destinée à compenser les fluctuations du prix du pétrole et de fournir un mécanisme qui encourage le développement des projets à coûts élevés, auparavant non rentables tels que des réservoirs compacts ou de schiste. La nouvelle loi introduit également trois "cas" qui déterminent la façon dont les taxes s'appliquent à différents types de projets. Les petits projets ou ceux dans les régions éloignées ou sous-explorées ou géologiquement complexes bénéficient d'allègements fiscaux substantiels. Toutefois, le profit que les compagnies pétrolières peuvent dégager de ces allègements est considérablement réduit par une "taxe d'écrémage" qui peut augmenter le taux d'imposition sur le revenu jusqu'à 80% si un projet devient trop rentable. Ce bref rappel fait, les simulations de différents scénarios ont donné les résultats suivants : - en général, les projets de gaz toutes tailles confondues génèrent un taux de rentabilité interne (TRI) légèrement plus élevé par rapport à la loi précédente. Encore mieux, pour les gisements qui se situent dans les régions éloignées ou sous-explorées ou géologiquement complexes ou à coût de développement élevé, les simulations montrent une amélioration considérable du TRI pouvant atteindre 20%, en supposant que les compagnies jouent sur le ratio profit-taxe d'écrémage, en modulant la production conséquemment ; - pour les projets pétroliers, les résultats sont moins évidents. Dans les cas de coût de développement relativement faible, les petits projets de pétrole seraient pires avec la nouvelle loi, même dans les zones bénéficiant d'allègements fiscaux. Seuls les grands développements à coûts très élevés verraient une amélioration substantielle de leur TRI. Or, aujourd'hui, les compagnies pétrolières sont quasi unanimes qu'en matière d'hydrocarbures conventionnels, il y a très peu de chances de découverte des gisements importants entraînant des coûts de développement élevés. Ceci est valable non seulement pour l'Algérie, mais pour l'ensemble des zones d'explorations où la tendance est vers la découverte de gisements de petite taille ou d'exploitation difficile. Dans le cas du pétrole, cet avantage serait plutôt destiné à encourager le développement des hydrocarbures non conventionnels, eux aussi à coûts très élevés. Les conclusions que nous pouvons tirer de ce qui précède est que la nouvelle loi est plus attractive pour la recherche et le développement des gisements de gaz plutôt que ceux de pétrole. De plus, il est claire qu'il y a un encouragement à aller vers les gisements qui se situent dans les régions éloignées ou sous-explorées ou géologiquement complexes y compris les gisements non conventionnels aussi bien de pétrole que de gaz. Toutefois, l'intérêt des compagnies pétrolières pour les gisements non conventionnels en Algérie n'est pas encore évident aujourd'hui, même si les volumes estimés techniquement récupérables sont énormes, croit-on savoir. Beaucoup de travail reste à faire par Sonatrach en effort propre pour confirmer ces réserves, avant de pouvoir attirer d'éventuels partenaires à développer ce type d'hydrocarbures. Quatre autres points non moins importants méritent d'être mentionnés dans le volet économique : - les prélèvements du gouvernement algérien sur la production restent parmi les plus élevés au monde. L'amélioration du nouveau cadre fiscal n'aurait pas dû s'opérer uniquement par rapport à l'ancien cadre, mais également par rapport à ce qui a été fait ailleurs dans le monde où d'énormes mutations ont eu lieu. Les simulations ont montré des TRI variant de 9% à 20% en Algérie. Or, aujourd'hui, les compagnies pétrolières tablent sur un TRI minimum de 15%, dans certains pays, surtout ceux nouvellement rentrés dans le club des producteurs ou ceux qui veulent se lancer dans l'exploration et la production pétrolière, il peut atteindre 25%. Pour attirer l'investissement, il faut soit aligner notre cadre fiscal sur ce qui existe ailleurs, soit compter uniquement sur nos moyens propres ; - le nouveau cadre fiscal n'est pas linéaire, assez complexe et manque de visibilité à long terme en matière de profitabilité. Même à moyen terme les simulations montrent un cash-flow presque neutre au bout de cinq à six ans pour certains cas. La visibilité à long terme qui existait dans les contrats de partage de production ou "production sharing contracts" (PSC) en anglais a disparu. Or, les compagnies n'aiment pas le manque de visibilité à long terme ; - les compagnies pétrolières sont aujourd'hui dans une situation où le nombre d'opportunités qui se présentent à elles à travers le monde est supérieur aux financements disponibles à l'investissement. Cette situation les rend très sélectives en matière de risques exploratoire à prendre et de choix de projets à développer. Il y a des exemples assez récents en Algérie où des compagnies pétrolières se sont désengagées de leurs actifs, pas nécessairement à cause de problèmes particuliers avec Alnaft ou Sonatrach, mais pour investir ailleurs le cash dégagé par la vente, où la rentabilité est plus élevée. - Enfin, il y a eu des cas de divergence majeurs de par le passé entre Sonatrach et certaines compagnies pétrolière sur les critères de rentabilité. Alors que pour ces compagnies il est difficile d'envisager un TRI inférieur à 15%, pour Sonatrach, propriété de l'Etat algérien et utilisant une approche systémique globale, un TRI même inférieur à 10% peut être acceptable, vu que les différentes taxes sont de toute façon perçues par l'Etat propriétaire. Ceci a été l'une des causes principales du retard ou du report du développement de certains projets. 2- Obstacles juridiques Pour comprendre la suite de notre analyse, il faut revenir en arrière dans les contrats PSC et le fonctionnement du Conseil de gestion (CDG), organe suprême de gestion et de supervision de toute association. Dans ces contrats PSC, les décisions au sein des CDG se prenaient à l'unanimité. Autrement dit, même si un partenaire qui détient 1% d'intérêt s'oppose à une résolution, celle-ci ne passe pas. Faire remonter le sujet de désaccord au niveau des sociétés mères n'arrangeait que rarement les choses, car de toute façon l'opposition à une résolution par un représentant d'un partenaire lui a été dictée par sa société mère, quand il s'agit de questions importantes bien sûr. La conséquence est au mieux un blocage des investissements nécessaires au maintien de la production d'un gisement donné et au pire des retards considérables, voire le report ou l'annulation de projets de développement de gisements déjà approuvés par Alnaft, annulation ou report que Sonatrach ne peut plus se permettre aujourd'hui pour faire face à ses obligations économiques et sociales. Afin de remédier à ces problèmes de blocage qui ont parsemé le parcours des différents contrats entre Sonatrach et ses partenaires, les nouveaux projets de contrats avec Alnaft et avec Sonatrach ont introduit certaines clauses qui permettent d'éviter ces situations. Or certaines de ces clauses n'ont pas été du goût des compagnies pétrolières, malgré les assurances données par Alnaft. Ceci est dû aux interprétations qui ont pu être faites, à juste titre, et aux conséquences potentielles de ces interprétations. Nous allons les aborder par ordre de l'importance qu'elles représentent aux yeux des compagnies pétrolières. 2.1- Vote dans le Conseil des opérations (CDO) qui a remplacé le CDG L'ancien principe de prise de décision à l'unanimité a été remplacé par un système de vote. Mais ce nouveau système de vote pose problème du fait qu'il équivaut à dire que c'est pratiquement Sonatrach seule qui prendra toutes les décisions puisqu'elle détient un minimum de 51% d'intérêts. En tout cas c'est l'interprétation qui en a été faite. Pour essayer de relativiser ce problème de vote, il est possible que le vote d'un partenaire qui ne détient pas la majorité l'emporte, à condition que la question soit d'ordre exclusivement technique et que le partenaire en question assumera alors seul l'entière responsabilité des conséquences que pourraient entraîner des telles décisions votées. Loin de régler le problème, cette possibilité l'a accentué en en créant deux autres : Comment considérer à l'unanimité qu'une question est d'ordre exclusivement technique ? Beaucoup de questions peuvent être technico-commerciales et dans ces cas les mêmes difficultés rencontrées pour voter une résolution à l'unanimité par les représentants des associés peuvent être rencontrées pour considérer par ces mêmes membres à l'unanimité qu'une question est d'ordre exclusivement technique. La condition posée aux personnes autres que Sonatrach pour que leur vote l'emporte pose un sérieux problème. C'est comme si on disait à un partenaire que c'est toujours Sonatrach qui prendra seule les décisions, mais si toi tu veux les prendre, tu dois assumer tout seul les conséquences qui peuvent en découler. On passe clairement ici d'une situation où jusque-là les conséquences de toute décision sont conjointement et solidairement supportées par tous les partenaires à une situation où un partenaire supporte seul les conséquences de sa décision. Il est tout à fait clair que les rédacteurs du projet de contrat sont de bonne foi et visaient uniquement à débloquer des situations d'impasse qui risquent de se présenter. Pour des questions simples d'ordre technique ne remettant pas en cause l'esprit global d'un projet, ainsi qu'en situation d'entente et de bonnes relations entre les partenaires, cette clause ne pose pas vraiment problème. Mais qu'en est-il des questions cruciales qui peuvent avoir un impact direct sur les dépenses ou les revenus et donc sur l'économie ? De plus, qui peut garantir une bonne relation pérenne entre les partenaires ? L'expérience de beaucoup de partenariats est là pour nous rappeler la réalité.Pour les questions qui ne sont pas exclusivement d'ordre technique, le vote de Sonatrach l'emportera toujours du fait qu'elle détient au moins 51 % d'intérêts dans tout projet. Cela implique que si Sonatrach veut prendre la décision de développer un gisement, le ou les partenaires ne peuvent que suivre. Or nous avons vu plus haut que les critères de rentabilité peuvent être différents qu'il s'agisse de Sonatrach ou de ses partenaires. Je pense qu'il aurait été plus prudent de laisser les votes du CDO à l'unanimité comme c'était avec les CDG, et une fois les désaccords persistants éventuels portés à un niveau plus haut des compagnies mères, essayer de ne pas rester campé sur ses positions initiales pour rapprocher les points de vue. En même temps, il faut donner plus de pouvoir aux responsables qui négocient pour aller vers un rapprochement des positions et ne pas laisser ce pouvoir uniquement cantonné entre les mains de la plus haute hiérarchie de l'entreprise. En dernier recours, si le désaccord persiste, on peut faire appel à une expertise extérieure (pas un arbitrage) et suivre ses recommandations. Il faut aussi déculpabiliser l'acte de gestion pour permettre aux représentants des uns et des autres de ne pas rester campés sur leurs positions initiales de peur d'être victimes d'une quelconque inculpation s'ils cèdent sur quoi que ce soit. M. K. (Suite dans notre prochaine édition) (*) Ancien responsable à Sonatrach