L'association soufie Alaouiya, à l'initiative de son chef spirituel Cheikh Khaled Bentounès, est en train d'apporter la dernière touche aux préparatifs d'un rendez-vous international qui se déroulera du 27 octobre au 2 novembre à Oran. Fidèle à lui-même, c'est-à-dire naviguer à contre-courant des tenants d'un islam ringardisé et figé par les exégètes fondamentalistes, Cheikh Bentounès a choisi un thème qui sent le soufre, d'une certaine façon : "L'islam au féminin." Pendant les cinq jours de ce colloque mondial, les invités, issus de différents continents, s'attacheront, dans leurs interventions, à démontrer que la religion musulmane s'est toujours conjuguée au féminin plus que parfait. Le choix de tenir cette première mondiale en Algérie n'est pas fortuit, car le pays a souffert de l'intransigeance religieuse. Aujourd'hui, il peut être au cœur d'une culture plus juste et équitable pour toutes et tous. Les derniers événements démontrent que nous devons tout mettre en œuvre pour que les valeurs, qui animent cette culture de paix, puissent occuper un véritable espace dans nos consciences et nos sociétés. Ces valeurs, souvent associées au féminin, doivent impérativement être enseignées au sein de nos familles, de nos écoles, afin de ne jamais reproduire l'horreur vécue aujourd'hui, explique Cheikh Bentounès. Liberté : Nous sommes à une semaine de l'ouverture du Congrès international féminin pour la culture de la paix. Il s'agit d'un grand événement, faites-nous d'abord le point sur les préparatifs... Cheikh Bentounès : Nous sommes effectivement à une semaine de ce grand événement, à savoir le "Congrès international, parole aux femmes". Pour la première fois, nous allons donner la parole aux femmes qui ont beaucoup de choses à nous dire, à nous apprendre. 3 000 participants de 25 nationalités y sont attendus. Des pays musulmans comme l'Egypte avec des savants d'El-Azhar, des Tunisiens de la Zitouna, des Marocains, des participants de l'Afrique noire, des Européens de France, de Belgique, de Hollande, d'Angleterre (avec un professeur de l'université d'Oxford qui a réuni la mémoire de plus de 1 000 femmes qui ont marqué l'histoire de l'islam). Le président Bouteflika a accepté, sans hésitation, de parrainer ce congrès. Je crois savoir que le thème lui tient particulièrement à cœur. Pour lui, le féminin a une place prépondérante dans notre pays. Sans le féminin, sans la femme, sans l'éducation de la femme et, surtout, sans lui donner ses droits, le pays ne pourra pas évoluer. En Algérie, une personne sur deux est une femme. Pourquoi le choix d'un tel thème, "Parole aux femmes", maintenant ? Parce que c'est tabou. Notre islam subit aujourd'hui une agression de l'intérieur. Actuellement, nous avons nos propres enfants qui sont habités par une force négative, une force de violence soi-disant véhiculée par l'islam. Cette violence fait de l'islam une religion porteuse de mort. Mourir ou donner la mort devient une façon de gagner le paradis. En choisissant un tel thème, n'y a-t-il pas chez vous une volonté de provoquer, de transgresser par rapport aux approches dominantes de la femme en Islam ? Comment voulez-vous faire bouger les choses ? En caressant dans le sens du poil ? Je remonte à contre-courant, mais je le fais avec foi, avec sincérité et avec amour, parce que j'aime mon pays, j'aime ma religion, j'aime ma communauté et je le fais aussi par solidarité avec mes ancêtres. Je suis né dans une zaouïa et les zaouïas ont toujours pour principe le primat de la connaissance (al-maârifa) sur l'ignorance (al-djahl). Mais les tenants de l'orthodoxie continuent de contester les zaouïas et le soufisme, les considérant comme une sorte de déviance, voire une forme de charlatanisme (darwacha)... Mais de quel texte, de quelle orthodoxie parlez-vous ? L'orthodoxie est une chose et eux, les adversaires de la zaouïa, c'est autre chose. Il faut appeler les choses par leur nom, et j'assume mes responsabilités en le disant. Ce que subit aujourd'hui le monde musulman, c'est le wahhabisme qui est derrière, ce sont les pétromonarchies qui financent. Je sais que ce que je dis peut me coûter cher, mais je le dis. À travers l'organisation de votre congrès qui a inscrit à son fronton la culture de la paix, il s'agit, de votre part, d'apporter une réponse aux tenants de l'islam violent, de promouvoir un contre-projet... Non, plus que cela. Pourquoi un congrès ? C'est sa finalité qui est de poser les fondements de la culture de la paix à partir de la cellule familiale. Le fait de donner son égalité à la femme, de montrer ce que l'islam lui a donné, mais qui est caché depuis des siècles, le fait de dire que la femme a dirigé la prière en islam, le fait de dire qu'il y a des "mouhadithate", c'est cela notre objectif. Il y a eu de grandes femmes musulmanes qui ont brillé à travers différentes époques. Hélas, aujourd'hui, la femme musulmane est regardée comme une "âoura" (infirme), comme un être dominé, un être mineur. Même à la vieillesse, la femme reste mineure. Dans certains pays, la femme n'a pas le droit de conduire un véhicule, de voter et encore moins d'être élue. Et tout cela au nom de l'islam ! Les partisans de cette vision minorisante de la femme se réfèrent, soi-disant, à la tradition du Prophète (QSSSL), en disant : "Le Prophète a dit." Nous avons fait une investigation dans l'histoire depuis la nuit des temps, depuis les époques les plus reculées et nous avons pu observer comment les différentes civilisations ont abordé le problème de la femme. On a vu que c'est en Irak, au temps de la civilisation assyrienne, que le premier texte a été dicté par Tagla Tafaz 1er. En Assyrie, la femme était condamnée à porter le voile. Le port du voile est une vieille tradition. On a revisité toutes les civilisations du bassin méditerranéen, on a pu voir aussi que les Grecs, les Romains l'ont imposé. Le judaïsme, le christianisme ont également institué le port du voile. L'islam, au contraire, est venu l'atténuer. En Arabie préislamique, la femme était obligée de porter le voile. Le Prophète Mohammed (QSSSL) est venu lui rendre sa liberté, sa dignité. Enfin, il y a eu un contrat de mariage, signifiant que la femme n'est plus une marchandise. Le Prophète (QSSSL) a donné à la femme la possibilité d'hériter, même si ce n'est que la moitié de la part qui revient à l'homme. L'islam a consacré l'égalité, devant Dieu, entre l'homme et la femme. Donc selon vous, la foi ne doit pas se mesurer à l'aune du hidjab, de la djellaba et de la longueur de la barbe, comme on le constate, de nos jours, à la faveur de la bigoterie ambiante ? Nous, nous disons : "Portez le hidjab, mais portez-le sur la tête, pas dans la tête." Voilà toute la différence. L'image de l'islam est négativement impactée dans le monde à travers les actes de barbarie commis par des groupes terroristes qui disent agir au nom de l'islam... Je crois qu'ils portent, effectivement, un grand préjudice à la communauté des musulmans, mais pas à l'islam, car l'islam est un message éternel qui vivra après nous, après eux. L'islam demeurera, car c'est la religion du Tawhid Absolu, c'est la religion de l'amour, de la relation de l'être à Dieu. Et ça, aucun extrémisme aveugle ne pourra le dissiper. Mohammed (QSSSL), c'est la lumière qui nous a guidés, sans lui nous ne pouvions connaître la Vérité. C'est le lien qui nous attache à la tradition adamique. C'est l'ultime prophète et le dernier des messagers, c'est-à-dire il unit Adam à Mohammed. C'est le cercle qui se referme. Dernièrement, des musulmans de France ont organisé un rassemblement devant la Grande Mosquée de Paris pour dénoncer à la fois la violence commise au nom de l'islam, mais pour s'élever aussi contre une nouvelle poussée d'islamophobie. Est-ce la bonne attitude ? Je crois que les manifestants ont donné leur réponse. Quand on voit les musulmans en France, en Angleterre, aux USA, je crois que cette fois-ci, ils ont été touchés, ils se sont sentis déshonorés. L'honneur des musulmans a été bafoué, mais pas l'islam. Les manifestants ont dit : "Pas en notre nom !" Le message est très clair. On n'accepte pas que la barbarie l'emporte sur l'humain. L'islam sacralise la vie. Le Saint Coran dit : "Si tu tues une vie, tu tues l'humanité tout entière." C'est un point fondamental, l'islam dit : "Il n'y a point de contrainte en religion." Pour revenir à l'islam des zaouïas que vous évoquiez précédemment, comment le définiriez-vous ? C'est un islam qui a trouvé un modus vivendi avec notre tradition. C'est cet islam qui a nourri l'identité algérienne, marocaine, tunisienne. Tous ces pays ont été colonisés pendant des siècles. ils sont restés les mêmes grâce à quoi ? L'Emir Abdelkader est sorti d'où ? El-Mokrani est sorti d'où ? Les Ouled Sidi Cheikh sont sortis d'où ? La Révolution algérienne est sortie d'où ? C'est le wahhabisme qui les a nourris ? Entretien réalisé par Omar Ouali