En s'assurant le soutien du numéro deux de l'ex-FIS, le Président serait quasiment certain de gagner la prochaine présidentielle de 2004. La ritournelle est trop connue des Algériens pour avoir été cycliquement entonnée. À l'approche de certaines dates qui correspondent à des fêtes nationales ou religieuses, les mêmes milieux s'agitent, les mêmes voix s'élèvent et les mêmes relais politico-médiatiques font du boucan pour réclamer à cor et à cri la libération des “chouyoukh” du FIS. Sauf que, pour cette fois-ci, la campagne a tout l'air d'être minutieusement orchestrée au vu de son timing, son intensité, sans oublier le contexte politique dans lequel elle intervient, celui de précampagne pour la présidentielle 2004. Ce qui lui donne, par conséquent, un plus grand potentiel de réussite. En fait, le la est donné par Ali Benhadj lui-même le jour où certains journaux arabophones ont parlé de son refus obstiné d'accepter la grâce que le président de la République ne demanderait pas mieux que de lui accorder. Le Savonarole de Bab El-Oued, dont pourtant le frère et d'autres personnalités de la mouvance islamiste n'ont cessé de réclamer l'élargissement, préfère aller au terme de sa peine pour ne rien devoir à l'Etat algérien. Cet entêtement est, au demeurant, dans la nature du personnage qui cherche ainsi, à partir de sa prison, à entretenir auprès de ses ouailles l'image d'un homme qui cultive le martyr. Cette fermeté, à moins qu'elle ne soit du chantage de haute volée, n'arrange pas manifestement les desseins d'autres acteurs dans la mouvance islamiste qui croient aujourd'hui, l'heure arrivée pour jouer à fond la carte Ali Benhadj. Ce qui expliquerait vraisemblablement leur agitation tous azimuts et les pressions amicales qu'ils exercent sur le prisonnier de Blida pour le persuader à ne pas refuser l'offre de libération du président de la république. Mourad Dhina, le néo-chef du FIS, après le dernier congrès de Bâle, suppliait, dans une récente déclaration sur le Net, Ali Benhadj d'accepter sa libération. La même supplique vient de lui être exprimée aussi par Madani Mezrag. Il lui demande d'accepter, “le plus rapidement possible”, l'offre “pour nécessité de service”, “même si la proposition n'est pas dénuée d'arrière-pensées”, reconnaît-il. L'entrée en scène du chef de l'AIS, alors que jusque-là il s'est bien gardé de toute interférence dans cette affaire, conforte considérablement l'idée que l'opération est bel et bien enclenchée. Et pour ceux qui ont encore quelques doutes quant aux tractations entre les islamistes et la présidence de la République, les derniers propos de Me Ali Yahia Abdenour sont là pour ramener tout le monde à l'évidence. Dans une déclaration au journal Ezzaman, paraissant à Londres et reprise par l'agence Reuter, il a clairement laissé entendre que le président de la République avait récemment envoyé deux émissaires, dont un colonel, rencontrer Benhadj dans sa prison. L'information, bien qu'elle ne dise mot sur l'entrevue, n'en reste pas moins un élément d'appréciation considérable dans ce scénario qui est en train d'être mis en place par petites touches successives. La question qui coule naturellement de source, à la lumière de cet enchaînement d'indices, est de savoir à quelle finalité tend ce jeu d'ombre troublant. Si Benhadj venait à accepter sa libération, il deviendrait ipso facto redevable à l'égard du président de la République auquel il devrait alors renvoyer l'ascenseur. Comment ? Madani Mezrag l'explique bien dans sa lettre du 30 novembre. Par un appui à la démarche présidentielle de façon “à donner à la réconciliation nationale son véritable prolongement dans la société”. En s'assurant le soutien de Benhadj, s'il venait réellement à jeter son poids dans la bataille, Bouteflika serait quasiment assuré de gagner, le doigt dans le nez, les prochaines présidentielles de 2004 en se passant, cette fois-ci, du parrainage encombrant de ceux qui ont vendu — pour le premier mandat — sa candidature. À son tour et une fois à la Présidence, affranchi de la tutelle des généraux, il aura alors toute latitude de prendre une décision politique qui permettrait le retour du FIS — sous un autre nom peut-être — sur la scène politique. Ainsi, Bouteflika aura rayé d'un trait douze années de résistance républicaine en nous ramenant à la case départ, c'est-à-dire à la configuration politique de 1991. N'a-t-il pas toujours affirmé que l'interruption du processus électoral était un acte de violence ? N. S.