Avec plus de 7 millions d'étrangers vivant sur son territoire, l'Allemagne ne disposait paradoxalement pas d'un arsenal juridique sur l'immigration. Les questions de sécurité, notamment le terrorisme des groupes armés islamistes, viennent de l'y conduire. Pour la première fois de son histoire, le pays s'est doté, cette semaine, d'une loi visant à adapter les flux migratoires à ses besoins économiques et protéger le pays des étrangers jugés dangereux. Le texte, objet de tractations politiques depuis des années, a finalement été voté à la quasi-unanimité par l'ensemble des députés du Bundestag, la chambre basse du parlement allemand. La loi doit entrer en vigueur le 1er janvier 2005. “La loi sur l'immigration est une césure historique, un pas supplémentaire vers une société moderne dans une Europe unie” et “un gain pour l'Allemagne”, s'est réjoui le ministre allemand de l'Intérieur, Otto Schily, artisan majeur de la loi. Autre figure centrale du projet, le chef du gouvernement régional conservateur de Sarre (ouest), Peter Mueller, a rappelé que l'exigence principale de son camp avait été retenue, soit “une loi qui limite l'immigration”, notamment au vu des plus de 4 millions de chômeurs que compte le pays. Seuls les deux élus néo-communistes du PDS ont fustigé une loi “ni humaine ni moderne”. Deux députés conservateurs ont également voté contre. L'objectif central de la loi est d'attirer dans une Allemagne vieillissante, à l'économie privée de croissance, du personnel hautement qualifié réclamé depuis des années par les entreprises nationales. Les parlementaires se sont félicités que les conditions soient réunies pour séduire “les meilleurs cerveaux du monde” dans l'espoir qu'ils renforcent la compétitivité de l'Allemagne. “Nos standards pour les étrangers hautement qualifiés sont désormais, bien au-dessus des standards internationaux, y compris des états-Unis”, a estimé Peter Mueller, tout en soulignant que “la loi seule ne suffira pas à rendre sa compétitivité à l'Allemagne”. L'aspect sécuritaire est un autre volet important de la loi, défendu bec et ongles par l'opposition conservatrice, jusqu'à ce que la dégradation de la sécurité en Europe, notamment après les attentats de Madrid du 11 mars, finisse par convaincre aussi la majorité. Ainsi, les conditions d'expulsion des étrangers jugés dangereux seront assouplies avec en ligne de mire les quelque 300 islamistes disposés à la violence qu'abriterait le pays, selon les renseignements intérieurs. Sont aussi visés les “prédicateurs de la haine”. “Nous ne voulons pas de Guantanamo dans le droit des étrangers”, a mis en garde Volker Beck, en référence à la base américaine de Cuba où quelque 600 proches présumés d'Al-Qaïda sont détenus sans droit de regard de la justice. Troisième point central, le droit d'asile est modifié pour être plus conforme à la Convention de Genève. Jusqu'ici réservé aux victimes de persécutions étatiques, ce droit sera étendu à d'autres victimes, notamment de discriminations sexuelles ou de guerre civile. Enfin, pour favoriser l'intégration, des cours de langue et de culture allemande seront obligatoires pour certains immigrés installés en Allemagne et pour les nouveaux arrivants. Aux termes de ce texte, les étrangers hautement qualifiés comme des ingénieurs, peuvent obtenir un droit de séjour illimité s'ils ont une proposition d'emploi en Allemagne. Leur épouse ou époux n'auront plus besoin d'attendre un an avant d'avoir un permis de travail. Les étudiants étrangers, ayant décroché un diplôme en Allemagne, ne devront plus quitter le territoire à l'issue de leurs études et auront un an pour rechercher un travail en Allemagne. S'agissant du droit d'asile, qui en Allemagne n'était jusqu'ici accordé qu'aux victimes de persécutions étatiques, il est rendu plus conforme à la Convention de Genève qui prévoit que puissent aussi en bénéficier les personnes dont l'état n'est pas en mesure d'assurer leur protection. Le droit d'asile pourra également être accordé aux victimes de persécutions sexuelles. Les nouveaux arrivants et les immigrés récents devront obligatoirement suivre quelque 300 heures de cours de langue et de culture sociopolitique allemande. Le coût annuel, estimé entre 215 et 235 millions d'euros, sera assumé par l'état fédéral. En cas de non-participation, des sanctions sont prévues comme une diminution de jusqu'à 10% de l'aide sociale ou un refus de prolongation du permis de séjour. Quant aux expulsions, elles pourront désormais, être ordonnées par les autorités régionales ou fédérales au motif d'un “fort soupçon de dangerosité basé sur des faits”, observés notamment par les renseignements intérieurs. En cas de contestation, une seule instance est prévue, la Cour fédérale administrative. Les passeurs de clandestins, condamnés à une peine de prison ferme, seront automatiquement expulsés, tandis que l'expulsion des dirigeants d'organisations interdites, de sympathisants du terrorisme et de “prédicateurs de la haine” est facilitée. L'autorité, chargée de délivrer un permis de séjour illimité ou d'accorder la citoyenneté, aura un accès de principe à des informations (par exemple des services de renseignement) sur la menace éventuelle que pourrait représenter le demandeur pour la constitution allemande. Y. K.