Voilà qui met fin aux spéculations et autres supputations de salon : le général des corps d'armée, qui passe aux yeux de nombreux observateurs comme l'épine dorsale du régime algérien, a présenté mardi sa démission au président de la République qui l'a aussitôt acceptée, annonce un communiqué laconique de la présidence de la République. Sans fournir de détails précis sur cette énigmatique “démission”, le communiqué se contente seulement de préciser que cette démission est motivée par des “raisons de santé”. En décodé : l'homme n'est plus en “mesure” de diriger une institution, qui plus est, est la plus importante du système politique algérien, l'Armée nationale populaire (ANP). Or, il y a quelques semaines, une voix officielle, en l'occurrence le ministre de l'Intérieur, M. Nouredine Yazid Zerhouni, interpellé par les journalistes sur l'absence remarquée du désormais ex-homme fort de l'armée lors de la visite en Algérie de la ministre française de la Défense, Michèle Alliot-Marie, avait indiqué que celui-ci “était en vacances”. Un justificatif qui n'avait pas alors convaincu grand monde du moins ceux qui connaissent les mécanismes de fonctionnement du sérail algérien. Faut-il alors prendre pour argent comptant les explications de la présidence ? Comme de coutume, l'opacité qui entoure le pouvoir algérien, l'un des plus secrets au monde, ne permet pas de percer l'énigme de cette “démission”. Cependant, à se fier à des sources crédibles, la “démission” du général Lamari date du lendemain de l'élection présidentielle du 8 avril dernier. L'ex-premier responsable de l'institution militaire dont on soupçonnait alors la sympathie avec Ali Benflis, l'ex-secrétaire général du FLN — concurrent potentiel de Abdelaziz Bouteflika — et lequel avait été reçu à la veille du scrutin, voulait ainsi exprimer son désaccord avec un homme dont le moins que l'on puisse dire est qu'il ne le portait pas dans son cœur. Bien avant l'élection présidentielle, le général Lamari, même de façon subtile certes, ne manquait pas de laisser entendre ses divergences avec le président de la République. Dans une conférence de presse animée à l'Académie interarmes de Cherchell, en juillet 2002, Lamari avait critiqué, en termes à peine voilés, la politique de la réconciliation nationale. “Si le terrorisme est militairement battu, l'intégrisme est encore intact. Vous n'avez qu'à entendre les prêches dans les mosquées, le contenu de la télé, l'école”, avait-il affirmé alors. En janvier 2003, dans un entretien accordé au magazine français Le Point, il soutenait que “l'institution militaire accepterait le président élu même s'il est issu du courant islamiste”. Une précision qui signifiait aux yeux de nombreux observateurs que l'ANP n'allait pas parrainer, comme elle l'avait fait jusqu'à alors, la candidature de Abdelaziz Bouteflika. Et la presse étrangère ne cessait de rapporter des indiscrétions sur les rapports tendus, sans jamais qu'ils ne soient démentis, entre les deux institutions. Lorsqu'au lendemain de l'élection, l'on annonça la victoire de Bouteflika avec un “score” qui a défié tous les pronostics et qui suggérait un “deal” secret avec “certains cercles décideurs”, Lamari décida alors de jeter l'éponge. Des tentatives de l'en dissuader auraient été même entreprises, ajoutent les mêmes sources, mais en vain. “Je ne peux plus travailler avec lui”, aurait-il confié à ses pairs. Et la visite d'Alliot-Marie n'a fait que lever le voile sur la crise entre les deux hommes. Reste maintenant à savoir si cette démission constitue une évolution chez le pouvoir algérien et donc la “fin d'une époque” ou alors entraînera-t-elle une autre crise ? K. K.