Cette décision ainsi que d'autres entrant dans le cadre de la réforme ont été décidées par le Chef du gouvernement. Les deux journées d'étude sur la présomption d'innocence et la détention préventive, initiées par le ministère de la Justice, ont été couronnées par des décisions importantes du Chef du gouvernement Ali Benflis dans le domaine de la réforme pénitentiaire. Par la voix de son premier responsable qui a clôturé, hier, à la Cour suprême, les travaux de ce séminaire, la chancellerie a annoncé, entre autres mesures, de fermer la maison d'arrêt de Serkadji, située au cœur de la capitale. “Sa fermeture interviendra à court terme”, a indiqué le ministre Mohamed Charfi. Ce dernier a, par ailleurs, annoncé que le centre de rééducation d'El-Harrach sera uniquement destiné désormais à l'accueil et à l'hébergement des personnes maintenues en détention provisoire. Enfin, le garde des Sceaux a révélé un projet de construction de deux nouvelles prisons à l'est et à l'ouest de la capitale. “Toutes ces mesures visent à consacrer les principes des Nations unies sur le respect des conditions minimales d'emprisonnement, leur humanisation ainsi que ceux relatifs à la préservation de la dignité des individus”, a-t-il souligné. M. Charfi a de ce fait instruit ses services de l'application immédiate des décisions énoncées. Sur un autre chapitre, il a demandé à ce que toutes les recommandations issues de la rencontre des magistrats sur les thèmes de la détention préventive et la présomption d'innocence soient traduites en mesures d'application dans les plus brefs délais. Lors de la première journée de ce séminaire, le ministre a affirmé que des dispositions inspirées de ses résolutions et du rapport de la commission de la réforme de la justice présidée par le professeur Issad seront prises prochainement pour pallier les abus et autres dérapages dans l'application des textes de loi relatifs à la détention provisoire et à la présomption d'innocence. “Il s'agira soit d'une initiative législative, soit d'une mesure exécutive”, a-t-il soutenu. La décision de séparer les personnes maintenues en détention préventive de celles qui purgent une peine définitive semble être le premier fruit de cette réflexion. Dans le domaine de la réforme pénitentiaire actuellement en charge d'un secrétariat d'Etat spécifique, les graves incidents dont plusieurs prisons du pays ont été le théâtre l'année dernière sont indéniablement l'accélérateur de ce changement. Pour rappel, lors des mutineries qui ont embrasé plus d'une dizaine de maisons d'arrêt au printemps 2002, près d'une cinquantaine de détenus sont décédés. Excédés par les très mauvaises conditions de leur détention (promiscuité, hogra…), ils s'étaient, avec bon nombre de leurs camarades, violemment révoltés. L'étincelle avait jailli de la prison de Serkadji où une vingtaine de prisonniers ont trouvé la mort asphyxiés ou brûlés. Affaire de vie ou de mort, la réforme s'impose. Au siège de la Cour suprême, hier, les magistrats en ont longuement insisté. Au cours de la seconde journée du séminaire, ils se sont penchés sur deux principaux thèmes, à savoir la réparation en cas de détention préventive injustifiée et l'abus dans le recours à cette forme d'emprisonnement et à la garde à vue. Abordant la première question, le responsable de la commission de réparation instituée en juin 2001 a identifié plusieurs lacunes qui compromettent la mission de sa structure. Magistrat et premier président de la Cour suprême, l'intervenant s'est appuyé sur les dispositions régissant cette commission pour lever le voile sur plusieurs zones d'ombre. Ainsi, concernant l'identification des responsables du préjudice causé, il a affirmé que seule la responsabilité de l'Etat et le dysfonctionnement du système judiciaire sont invoqués. Ce qui, d'après lui, disculpe entièrement le magistrat qui a ordonné la détention injustifiée. Aussi l'orateur a-t-il préconisé l'implication directe de ce dernier et des mesures disciplinaires à son encontre. Une telle disposition servira dans le meilleur des cas à prévenir les abus. Dans la phase de réparation, un autre obstacle sape la procédure de la juridiction concernée. Son président a ciblé dans ce cadre précis l'ambiguïté qui entoure la notion de “détention injustifiée”. Un concept, a-t-il expliqué, qui met à charge au demandeur la preuve de l'injustice dont il a été victime. “Le droit à la réparation n'est jamais acquis. La loi de son côté suggère que le magistrat n'a pas eu d'autres choix”, a encore précisé le premier président de la Cour suprême. Entre autres béances, ce dernier a évoqué la non-définition des montants de l'indemnisation et l'ampleur du préjudice moral et physique causé, les lacunes linguistiques dans la traduction du texte, pis, le fait que cette loi ne soit pas rétroactive et ignore par conséquent les requêtes antérieures à la date de sa promulgation. Au cours du vaste débat qui a suivi cette communication, des intervenants ont justement fait référence aux nombreux cas d'injustice, ceux des cadres abusivement incarcérés pendant plusieurs mois pour les besoins de l'instruction, puis acquittés sans pour autant bénéficier d'indemnisation. D'ailleurs, beaucoup ont insisté sur le fait que la médiatisation de cette affaire est en grande partie à l'origine de la création de la commission de réparation. Pour le reste, le mal, ce recours systématique à la détention provisoire, ne peut, selon d'autres orateurs, être endigué sans la mise en place de garde-fous infaillibles. Pour le moment, les services de la police judiciaire sont, à son avis, dotés d'un pouvoir exagéré et outrepassent souvent leurs prérogatives. S. L.