En Irak, il y a le terrorisme. Et surtout la guerre. Une guerre impliquant la plus grande puissance militaire mondiale et que le terrorisme a fait oublier à cause des derniers enlèvements de journalistes qui ont soustrait à l'œil des médias des provinces entières sur lesquelles s'abattent tous les jours des orages de missiles. Reportage Dimanche matin, ce fut le tour de la capitale. À 5h40, Bagdad a été réveillé par le bruit sourd des armes lourdes et le crépitement des armes automatiques. Une heure plus tard, les murs d'un des hôtels choisis par des journalistes pour s'y loger tremblent sous l'effet d'une forte explosion. L'armée américaine précisera, plus tard, que c'est un char de type Bradley venu en appui à des soldats américains qui avait été touché par une voiture piégée et, peu après, un soutien aérien a détruit le véhicule blindé pour “empêcher qu'il soit pillé et éviter toute nuisance au peuple irakien”. Le lieu de l'affrontement, en plein centre de Bagdad, est si proche de l'hôtel qu'une envie irrépressible invite à braver les risques et à ignorer les consignes de sécurité. Mérouane, le photographe, est d'accord : c'est un Irakien qui en a vu d'autres. Abdelkader le chauffeur n'a plus qu'à s'exécuter. Les gilets pareballes sont enfilés et la BMW d'Abdelkader se met à slalomer entre les obstacles plantés dans les rues de Bagdad qui rendent la circulation infernale. Il a suffi de quelques minutes pour se retrouver à la rue Haïfa, face à la carcasse fumante du Bradley sous un ciel où tournoyaient des hélicoptères. Autour du Bradley en feu, c'est la liesse. On célèbre la victoire. Des femmes voilées lançaient des youyous affichant de larges sourires, des hommes faisaient le V de la victoire, hissant des drapeaux verts. D'autres encore lançaient des pierres sur l'engin blindé sur lequel s'était juché un jeune, le visage masqué par un keffieh rouge, qui agitait un drapeau noir sur lequel était écrit “Tawhid wal jihad”, l'organisation de l'islamiste jordanien Abou Moussab Al-Zarqaoui. Juste à côté, un bâtiment de quatre étages affiche ostensiblement les stigmates de violence avec sa façade méconnaissable et ses appartements retournés qui résonnent de pleurs d'enfants et de femmes gisant dans des flaques de sang. Pendant ce temps, les tirs se poursuivent sous l'œil d'une petite poignée de journalistes qui venaient de réaliser à quel point la situation était dangereuse. Le confrère Maïzen Al-Toumaïzi, un Palestinien employé par la chaîne de télévision El Arabiya, effectue un envoi en direct. Nous sommes séparés par pas plus de trois mètres. C'est à ce moment que deux hélicoptères volant à basse altitude ont tiré des missiles sur le Bradley. Je suis soulevé et projeté face contre terre. La respiration est difficile mais il faut se relever vite, avant la chute d'éventuels autres missiles. Juste le temps de remarquer des corps autour du Bradley mais sans identifier celui de Maïzen. Des jeunes m'apprendront quelques minutes plus tard qu'un journaliste venait de laisser sa vie et que deux photographes ont été blessés, l'un à la tête et l'autre à la jambe. Serait-ce Mérouane ? Des cris, des pleurs, la terreur de ceux qui ne voyaient pas leurs proches. Derrière l'immeuble endommagé, un homme surgit et offre aux autres de venir se réfugier dans sa maison. Les femmes occupent les chambres d'où s'élèvent des prières et des pleurs. Dans le couloir, les hommes se serrent. Le visage crispé, les dents serrées. Difficile de parler. Peut-être que chacun fait sa prière. Des minutes interminables. Le portable sonne. Le numéro du collègue s'affiche mais la communication est impossible. Enfin, les ambulances. Ce qui veut dire une accalmie. Il faut essayer de se faufiler.De nombreuses rues sont fermées par les soldats américains et dans cet enchevêtrement, je perds la direction de l'hôtel. Abdelkader et Mérouane ne sont pas là ? Partir à pied ? Même avec le gilet pare-balles frappé de la mention presse, il n'y a rien de sûr en ces temps irakiens troubles. Des jeunes se proposent de m'accompagner jusqu'à la station de taxis. Presse veut dire américain, disent certains. “Non, djazaïri” ; ma réponse fait sourire certains... Il n'est plus question de continuer le chemin avec ce cortège. Fort heureusement, un taxi s'arrête. Mais, le chauffeur ne prend pas la direction de l'hôtel, il s'en éloigne même. Les communications téléphoniques sont impossibles. Comme est impossible le dialogue avec le chauffeur. Enfin, la sonnerie du téléphone. C'est Mérouane, il faut faire vite. Ne pas se laisser piéger par les caprices des télécoms, lui donner la position du taxi et attendre sur place. Le taxi repart et je n'ai pas de sac pour cacher le gilet pare-balles. Que faire de cette encombrante protection qui, dès la descente du taxi, a attiré quelques regards curieux ? Il n'y a qu'à la plier et en faire un siège, en attendant le chauffeur qui, finalement, ne mettra pas plus de dix minutes pour me conduire à bon port. Dans le parking de l'hôtel, Abdelkader doit extraire une balle et un éclat d'obus de sa carrosserie. Des balles qui auraient pu se loger dans le corps de l'un d'entre nous. Engueulades après cette aventure : “Tu sais que j'étais en train de te chercher parmi les cadavres. Je croyais que tu étais mort”, s'énerve mon responsable dont Abdelkader m'avait fait part de son inquiétude. “Moi aussi, j'a cru que tu étais mort... les affrontements de la rue Haïfa ont fait 13 morts et 59 blessés.” Couvre-feu dans le centre de Bagdad Les forces américaines ont patrouillé, hier, rue Haïfa, au cœur de Bagdad, pour annoncer l'imposition jusqu'à nouvel ordre d'un couvre-feu de 20h (16h GMT) à 4h (0h GMT). À l'aide de haut-parleurs installés sur des Humvees, les GI's ont annoncé que le couvre-feu était imposé sur quasiment toute la rue Haïfa, où la veille les combats avaient fait 13 morts et 59 blessés. “Eloignez-vous des fenêtres et des portes. Restez chez vous. Quiconque sera trouvé dehors durant cette période sera considéré comme un terroriste et risque la mort'', ont averti les forces américaines. Cela signifie que Bagdad redevient ville morte dès 19h ! La rue Haïfa est considérée comme un bastion des partisans du président déchu Saddam Hussein.