Pour les députés d'El Islah, le parti de Abdallah Djaballah, et leurs invités, les hommes qui prennent plusieurs épouses rendent service aux femmes, condamnées autrement à rester vieilles filles. Les députés d'El Islah ont sorti, hier, la grosse artillerie pour manifester leur opposition à la révision du Code de la famille, telle qu'endossée par le gouvernement Ouyahia. Durant leur journée parlementaire, les chantres de l'application, de manière inconditionnelle, de la charia, se sont succédé à la tribune pour défendre la polygamie et le maintien du tutorat matrimonial sur la femme. Abderrahmane Chibane, président de l'Association des oulémas algériens et ancien ministre des Affaires religieuses, a affirmé que l'égalité entre femmes et hommes est un leurre. Il a estimé même nécessaire de supprimer l'article y afférent de la loi fondamentale. “L'article 2 de la Constitution édicte que l'Islam est la religion d'Etat. Toutes les dispositions qui suivent, et qui portent atteinte à la charia (dont celle qui consacre l'égalité entre les deux sexes, ndlr), sont caduques”. L'ancien ministre a soutenu que le maintien de la polygamie préserve la dignité de la femme. “Nous dirons à celle dont le mari décide de se remarier, qu'il vaudra mieux pour elle partager son homme que de ne plus avoir d'homme du tout”. Abderrazek Guissoum, vice-président de l'association des oulémas, a dit rejeter l'ensemble des amendements proposés par la commission chargée de réfléchir sur le Code de la famille, car ils n'émanent pas des gens du fiqh (droit canonique), c'est-à-dire ceux habilités à distinguer le licite de l'illicite. À ce titre, il a regretté qu'on veuille supprimer le tutorat matrimonial et soumettre la polygamie à des contraintes draconiennes, alors que ces deux dispositions, “rehaussent l'image et la place de la femme dans la famille”. L'intervention du prédicateur Chamseddine Bouroubi, a été de loin la plus spectaculaire, la plus lointaine de la réalité sociologique du pays aussi. Il a commencé par dire que c'est la femme qui entretient le principe de polygamie, puisqu'elle accepte généralement d'unir sa vie à un homme déjà marié. Il s'est contredit quelques secondes après en soutenant que le nombre d'Algériens ayant plus d'une seule épouse n'excède pas l'infime taux de 0,01% des couples légitimes. Sans faillir à la tradition, il a rejeté sur la femme, “coupable” de célibat tardif (au-delà de 25 ans), la responsabilité des maux de la société (mœurs légères, prostitution, suicide, décadence sécuritaire et économique). “Chaque année, 70 000 Algériennes atteignent la trentaine sans se marier. Elles sont environ onze millions à être considérées comme vieilles filles, car elles ont plus de 30 ans et sont toujours célibataires”. Les chiffres, avancés par le religieux, paraissent peu crédibles en ce sens qu'il est difficile de croire que la proportion des femmes célibataires de plus de trente ans représente près d'un tiers de la population globale du pays. D'autant que les dernières statistiques de l'ONS (Office national des statistiques) donnent 52% d'Algériens de sexe masculin pour 48% de femmes. Se voulant alarmiste, Chamseddine Bouroubi a condamné les femmes de plus de 35 ans au célibat à vie car “les hommes du même âge ou légèrement plus âgés préfèrent prendre pour épouses des jeunes femmes de vingt ans”. Pour faire face à ce “phénomène catastrophique, la solution est simple : encourageons la polygamie, par tous les moyens”. Le député, qui a présidé la séance du matin, saisissait la moindre occasion pour pourfendre les militants des droits des femmes. Il s'est même permis de traiter de tous les noms d'oiseaux, les femmes qui s'attachent à leur indépendance. S. H.