En ouvrant l'année judiciaire, le président de la république a exposé, une nouvelle fois, sa vision d'une bonne justice. “Pour porter l'appareil judiciaire au niveau des exigences de notre époque, il est indispensable de garantir l'indépendance du magistrat et de valoriser son statut”. Ce serait donc chose faite, puisque le gouvernement a promulgué “le statut de la magistrature afin de prémunir le magistrat contre toute forme de pression et d'assurer le déroulement normal de sa carrière”. Une telle démarche légitimerait la soumission du magistrat à la pression et à la tentation dans le cas où il serait mécontent de son statut et de son plan de carrière. L'indépendance suppose, au contraire, une séparation des pouvoirs qui mettrait l'institution judiciaire hors de portée de la pression des institutions exécutives. Or, le pouvoir législatif même n'a pas gagné son autonomie et où le président de l'Assemblée nationale, supposé élu du peuple et choisi par ses pairs, en est encore à “remercier le président Bouteflika pour la confiance qu'il a placée en lui”. Il y a quelque ironie à prétendre à l'indépendance du juge avant même d'œuvrer à l'indépendance du législateur. L'expérience de “la justice de nuit” où l'institution fut sommée d'intervenir dans une crise politique et d'orienter la vie d'un parti, de manière expéditive, rappelle que l'indépendance de la justice souffre autant de l'intrusion arbitraire du pouvoir dans le domaine judiciaire que de la disponibilité des magistrats à répondre aux injonctions politiques. Il n'y a pas que la “dépendance” des juges ; il y a surtout l'ingérence des puissants. Le président a annoncé la mise en place d'un groupe de travail en vue d'élaborer un code de lutte contre la corruption. Il y a lieu de conserver son scepticisme quand on se rappelle que l'installation de toute commission de réforme n'a pas beaucoup servi à améliorer notre justice. Mais, comme chacun le sait, la corruption est passée au stade de fondement du système politique. C'est par elle que se motivent les solidarités de coterie ; c'est la permissivité en la matière qui incite aux adhésions politiques. Les passe-droits, les exonérations et les subventions sont devenues les premiers arguments électoraux. La crise politique a évolué en crise morale : cet esprit d'“arrangement” a envahi société et institutions et anéanti valeurs et convictions. Il s'illustre aussi par l'impasse qui contrarie une réforme timorée du code de la famille. On veut bien faire de la femme un citoyen, mais on ne veut pas contrarier la charia. Et pour justifier ce non-choix entre le droit positif et la charia, on explique que les deux ne sont pas contradictoires. Si la théocratie et la république étaient superposables, le monde ne serait pas ce qu'il est. En tout, la concorde civile consiste à ménager la chèvre et le loup. L'omnipotence du clan et l'indépendance de la justice. Le système de prédation et l'image de bonne gouvernance. La citoyenneté de la femme et la susceptibilité islamiste. Ce rafistolage a la prétention de nous faire avoir l'air d'une démocratie, sans sa principale contrainte — et principale caractéristique : l'Etat de droit. M. H.