Dans une conférence qu'il a animée mercredi dernier, au centre biomédical de Dergana, dans la banlieue d'Alger, Xavier Darcos, ministre français délégué à la Coopération, au Développement et à la Francophonie, a interpellé les cadres algériens expatriés en ces termes : “Il faut d'abord songer à servir son pays.” C'est un fait que les autorités algériennes se rappellent, de rentrée universitaire en rentrée universitaire, que des universitaires exercent dans des institutions étrangères, pendant que l'enseignement supérieur et la recherche manquent de cadres. Qu'un ministre français intervienne pour nous éclairer sur l'état de l'émigration scientifique algérienne peut avoir bien de l'intérêt, mais qu'il applique une approche moralisante à un phénomène objectif le confine à une prise de position inconséquente que nous avons l'habitude de subir de la part de nos responsables. Dans la même veine que le témoignage empressé de Chirac quant à la régularité de l'élection présidentielle d'avril dernier ou de la déclaration de Michel Barnier sur l'impossibilité de défendre “des journalistes condamnés dans des affaires de droit commun”. Les données rapportées par Xavier Darcos sur la masse de cadres algériens exilés étonnent par leur précision — 214 000 exerceraient en Europe et aux Etats-Unis — alors même que les autorités politiques et scientifiques de l'Hexagone se plaignent de la difficulté qu'elles ont à cerner l'importance du mouvement d'expatriation des cerveaux français. À l'ouverture de l'année universitaire qu'il a présidée depuis Boumerdès, Bouteflika s'est dit peiné “que des médecins algériens en France ou ailleurs exercent comme infirmiers”. L'appel au patriotisme des universitaires algériens émigrés cache mal la gêne devant l'amertume de Bouteflika qui, elle-même, cache son reproche au système français qui déclasse les médecins algériens et son impuissance algérienne à motiver un retour. Le vœu de Darcos, qui fait appel au patriotisme de nos cadres, a, de ce fait, quelque chose d'intempestif, quand on sait que la France souffre d'une émigration croissante de ses chercheurs. Selon un rapport sénatorial (www.senat.fr), environ 28% des chercheurs post-doctorants, formés en France, quittent le pays, essentiellement pour les Etats-Unis, dans l'année qui suit leur soutenance de thèse. C'est dire qu'en France, on a déjà fort à faire avec une fuite des cerveaux aux dimensions mal connues, mais suffisamment alarmantes. Sans compter que la situation où les 7 000 médecins algériens (sur 10 000 médecins étrangers, selon le président de l'Association des médecins algériens de France) rentreraient au bercail serait peut-être difficilement gérable par le système de santé en France. Aujourd'hui, on ne fuit plus une patrie ; on fuit un système. C'est valable autant pour nous que pour les amis qui nous veulent du bien. C'est surtout valable pour les mieux formés des citoyens de chaque nation. En cela, ce soutien instinctif ressemble, en matière de gestion des cerveaux, au soutien de grand cancre à petit cancre. M. H.