Sur 25 prévenus, 11 ont été condamnés de la prison ferme et 7 à une peine de huit mois avec sursis. À peine les premiers échos de la sentence lui sont-ils parvenus que la foule amassée devant le palais de justice de Ghardaïa s'est enflammée. De la salle d'audience où le juge finit de lire son verdict, on peut entendre les vociférations des contestataires. Tout y passe. Le wali, la police et la justice vilipendés à souhait. Craignant que les clameurs de la rue conquièrent le tribunal, les agents de l'ordre s'empressent de l'évacuer. Dans l'assistance, des parents des prévenus, hébétés, peinent à quitter leur banc. Certains fusent en direction des avocats pour s'assurer de ce qu'ils ont entendu. Pendant toute la matinée de ce mardi pourtant, l'espoir avait gagné plus d'un. La qualité des plaidoiries, l'inconsistance des chefs d'inculpation, la probable clémence du tribunal laissaient présager la relaxe. Il n'en sera rien. Au bout de cinq heures d'âpres débats, l'arrêt de la cour tombe comme un couperet. Sur les 25 prévenus, 11 sont condamnés à quatre mois de prison ferme, 7 à huit mois avec sursis et 7 autres seulement ont réussi à obtenir la relaxe. Le jeune Bahmani Ahmed fait partie de cette dernière catégorie. Son vieux père présent dans la salle peut enfin respirer, du moins reprendre son souffle car si un de ses enfants est aujourd'hui libre, un autre croupit toujours derrière les barreaux. Les charges retenues contre lui sont beaucoup plus graves. Elles relèvent de la juridiction pénale. Contrairement à son cadet, interpellé pour attroupement (et jugé par conséquent en correctionnelle), Slimane est accusé d'avoir incendié des édifices publics. “Je ne comprends rien. Mes enfants étaient ensemble ce jour-là. Ils venaient de quitter la maison pour aller faire des courses. Ils ont été arrêtés sur leur chemin vers le marché des fruits et légumes”, raconte le père encore incrédule. À l'origine, une grève C'était le mercredi 13 octobre. Cette date marquait le troisième jour depuis le début des troubles à Ghardaïa. À l'origine, une grève des commerçants de la ville qui entendaient protester contre l'incursion d'une équipe combinée des services des douanes, des impôts et de la qualité des prix dans leurs locaux. “Ils nous ont réclamé des factures alors que nous avons toujours travaillé sans. Toute l'Algérie marche ainsi”, s'éructe un groupe de marchands du centre-ville venus au rassemblement devant le tribunal. La menace d'une saisie de la marchandise des contrevenants ayant fait le tour de la cité, les boutiquiers décident de baisser rideau. “Nous sommes à peu près 3 000”, soutiennent nos interlocuteurs. L'indifférence du wali et l'intervention musclée des forces de l'ordre ont abouti inéluctablement à l'émeute. Des édifices publics dont un bureau de poste et une agence AEP sont incendiés par les manifestants. Après quelques jours, ce n'était plus le problème exclusif des commerçants. Les chômeurs ont trouvé là une occasion en or pour exprimer leur ras-le-bol. Depuis trente-six heures, l'affaire a pris une tournure politique suite à l'émission de mandats d'arrêt contre les responsables des bureaux locaux de la Ligue algérienne de la défense des droits de l'Homme (Laddh) et du Front des forces socialistes (FFS). Réduit à la semi-clandestinité, Mohamed Zelmami, responsable de l'antenne de la Laddh n'a pas pu assister au procès de ce mardi. C'est au téléphone qu'il sera informé de la nature des peines prononcées par le juge. À son tour, il risque de se retrouver en prison. À l'instar de ses compagnons d'infortune, son tord est sans doute d'avoir dénoncé la répression policière et son caractère injustifié. Dans leurs plaidoiries, les cinq avocats qui se sont succédé au prétoire ont usé de cet argument pour innocenter leurs clients. L'un d'eux a même mis en évidence le fait que certains ont été arrêtés jeudi alors qu'il n'y avait nulle manifestation et que le calme était revenu dans la ville. À ce sujet, Maître Laroui Lahcène n'a pas manqué d'éloquence. Tout en qualifiant les arrestations de gratuites, l'avocat a dénoncé l'illégalité dans le recours à la force sans préavis. Pour défendre son point de vue, il s'est référé à des textes de loi, dont la Constitution qui consacre le droit à la grève et aux manifestations pacifiques. Selon lui, le wali a envenimé les choses quand il a réuni le conseil de sécurité de la wilaya et fait appel à la force publique. “L'un des fondements de la politique du président de la République n'est-il pas la concorde civile ? Le wali aurait pu régler cette affaire en écoutant les doléances des commerçants”, a signifié l'avocat. Ses tentatives d'obtenir l'indulgence du président du tribunal se sont appuyées sur d'autres évocations. Outre la sagesse des habitants du M'zab, peu prompts à la violence, Me Laroui a invoqué la réputation mythique de la cité, connue pour être le berceau d'une civilisation et non pas le cadre de vie d'individus frustres. Son collègue, Me Hatia Brahim a justement opposé la civilité des gens du M'zab au comportement inconséquent des agents de l'ordre. Il a cité l'exemple d'un de ses clients, un jeunes adolescent, scolarisé au collège, qui a été arrêté alors qu'il se rendait chez sa tante. “Trouvez-vous normal qu'un mineur comme lui soit mis en prison et détenu en compagnie de drogués et de criminels ?” a-t-il demandé au juge. Dans la salle d'audience, des têtes acquiescent. Un homme profite de l'interruption de la séance pour dénoncer le sort infligé à son frère. “Il est sorti de chez lui pour un rendez-vous avec son beau-frère dans le quartier de Baba-Saâd (haut lieu des émeutes) et c'est là qu'il a été arrêté. Il a réussi à franchir un premier barrage de police. Au second, ils l'ont pris”, dit notre interlocuteur. Toutefois, aux yeux du procureur général, tous ces témoignages accablants ne valent rien. En commençant par regretter les actes de saccage qui ont ciblé les infrastructures publiques, il a donné le ton à son réquisitoire. Selon lui, la force publique avait agi conformément à la loi, et toutes les arrestations opérées sont justifiées. Au terme de son intervention, le représentant du parquet a requis six mois de prison ferme contre les prévenus. la colère couve Une incertitude pourtant a émaillé son propos et donné raison aux manifestants. Elle tient dans la ruée très suspecte des agents du commerce, des impôts et de la douane chez les commerçants. “Quand bien même leur méthode serait contestable, le recours à l'attroupement et à l'émeute est illégal”, a clairement signifié le procureur avant de se rétracter. En tout cas, sa digression n'a rien changé à l'issue du procès. À 15 heures, quand le juge quitte la salle d'audience avec sa pile de dossiers, les prémices d'une énième révolte pointent de l'autre côté de la rue. À fur et à mesure que la foule s'approche du siège du tribunal, sa colère se propage sur le macadam. Restés dans leurs fourgons, les agents des forces antiémeutes tripotent des grenades lacrymogènes. Afin d'éviter un nouveau face-à-face, des policiers désarmés s'emploient à repousser habilement les révoltés. En toute réponse, ces derniers improvisent un sit-in et une série de slogans. “Le wali dehors”, “Imazighen” et un légendaire : “Ulac smal ulac” sont allègrement entonnés. À l'approche du f'tour, les révoltés se dispersent. Pour autant, ils n'en démordent pas. Ils comptent maintenir la pression jusqu'à la libération de tous les détenus. Dans les prochains jours est prévue une nouvelle audience autrement plus déterminante. Elle verra la comparution de onze autres prévenus accusés d'incitation à l'émeute et de saccage. Affaire à suivre. S. L.