Le verdict, s'il a provoqué le soulagement chez les familles des prévenus, n'a pas agréé les avocats de la défense. Par certains égards, il passait aux yeux de nombreux observateurs, mais aussi de la population locale comme le “procès du siècle” de la province du M'zab. Et ils n'avaient sans doute pas tort. Hier, la chambre correctionnelle du tribunal de Ghardaïa s'est révélée exiguë pour contenir l'immense foule venue assister au procès en appel des 25 prévenus des dernières émeutes qui avaient secoué le 12 octobre dernier cette cité à la fois mytique, mystérieuse et réputée pour son calme légendaire. Dans l'enceinte du tribunal, mais aussi à l'extérieur, un dispositif renforcé de la police veillant au grain pour pallier à d'éventuels dérapages. Dans la salle d'audience, outre, bien entendu, le collectif d'avocats, fort d'une dizaine de robes noires et des familles des prévenus, il y avait également la présence de Me Ali Yahia Abdenour, président de la ligue algérienne de défense des droits de l'Homme (Laddh), des élus et de certains membres du conseil national du FFS dont Karim Tabbou, porte-parole du parti, secrétaire national chargé de l'information et de la communication. Le caractère inédit du procès conjugué à la nature du chef d'inculpation “attroupement” était tel qu'il suscitait les pires appréhensions. Le dernier procès, tenu le 19 octobre dernier, qui a vu la condamnation de 11 prévenus à 4 mois de prison ferme et 10 autres à 8 mois de prison avec sursis, n'incitait guère, en effet, à l'optimisme. Pourtant, contre toute attente, le juge d'audience, dans une décision qui s'apparente à un geste d'apaisement, a décidé de condamner 21 sur les 25 prévenus à 8 mois de prison avec sursis alors que les quatre restants ont bénéficié de l'acquittement. Un verdict, qui du reste, s'il a provoqué un soulagement chez les familles des prévenus, n'en a pas agréé les avocats de la défense. “On n'est pas d'accord avec le verdict car le délit d'attroupement n'a pas été prouvé”, a affirmé Me Daddi Addoune Omar, l'un des avocats. C'est pour cela qu'un pourvoi en cassation à la cour suprême a été immédiatement décidé par le collectif à l'issue du procès. “Nous allons introduire un pourvoi en cassation à la cour suprême. Nous l'avons convenu”, a-t-il dit. Concerné par l'affaire, en ce sens que son parti compte des militants arrêtés et d'autres sous le coup de mandat d'arrêt, M. Karim Tabbou a estimé pour sa part que “l'issue du procès prouve encore une fois que la justice obéit aux ordres des maîtres de l'heure”. Selon lui “les poursuites contre les citoyens de Ghardaïa sont dignes des pratiques de Tyrans heureux”. Il conclut sur une note optimiste, que “la solidarité, exprimée aujourd'hui par la population aux prévenus, prouve qu'aucune manœuvre ne saurait essouffler une dissidence citoyenne vivante et irréversible”. Procès politique ? S'il est un constat largement répandu ici, c'est sans nul doute les relents politiques que charrie ce procès. En effet, à l'unanimité, les avocats de la défense ont pointé d'un doigt accusateur sur le wali et d'une manière générale les autorités locales d'avoir exacerbé le mécontentement de la population. “L'administration ne doit pas régler ses comptes en justice. On doit être jaloux de l'indépendance de la justice”, a soutenu Me Bouchachi dans sa plaidoirie pour le moins magistrale et laquelle a arraché des sanglots à de nombreux prévenus ainsi qu'à leur famille. Selon lui, il n'y a aucune preuve établissant le caractère délictueux de “l'attroupement”, se référant à l'article 97 du Code pénal, lequel stipule sommairement que le wali, le P/APC ou l'officier de police se doivent d'ordonner la dispersion de l'attroupement avant d'établir le constat du délit. Pis encore, il accuse le wali d'avoir fermé les portes du dialogue ; un comportement qui suscite à ses yeux des interrogations. “S'il y avait eu dix minutes de dialogue, il n'y aurait pas eu de dégâts”. Me Bouchachi suggère à demi-mots la piste à explorer. “Des rassemblements existent partout. Dans d'autres régions, des manifestants ont été libérés grâce au dialogue. Il y avait même des déplacements des ministres”. “Pourquoi pas au M'zab”, s'interroge-t-il, d'autant, ajoute-t-il, que “les Mozabites sont connus pour leur calme légendaire”. “Ils constituent un exemple pour le nord”, dit-il. Sur un autre registre, il rappelle que le contrôle des impôts se doit d'être effectué d'abord sur les gros importateurs et les grossistes. Une autre incongruité, à ses yeux, l'affirmation du PV de la police, selon lequel, les manifestants ont été dispersés et les meneurs arrêtés. “Expliquez-moi comment peut-on reconnaître les prétendus meneurs”, s'interroge-t-il. D'autres avocats n'ont pas manqué, également, de relever quelques contradictions entre le procès verbal du procureur et celui de la police où, par exemple, on relève dans l'un, qu'une même personne a été arrêtée le 12 et dans l'autre le 13. Un autre avocat a relevé que la majorité des prévenus ne sont pas des commerçants. Lors de l'audience, la majorité des prévenus ont affirmé qu'ils se sont retrouvés par hasard au moment du rassemblement et ont été embarqués arbitrairement. L'un d'eux a même provoqué l'ire du procureur lorsqu'il a affirmé que le policier qui l'avait interpellé lui a demandé “s'il était Mozabite”. En tout cas, au sein des militants des droits de l'homme, beaucoup pensent que le wali entend mettre au pas les animateurs locaux, notamment le secrétaire fédéral du FFS élu de l'APC locale très populaire et qui s'apprêtait, semble-t-il, à déposer une plainte contre les autorités locales impliquées dans de nombreuses affaires scabreuses. à noter, enfin, que 11 prévenus, parmi lesquels le Dr Fekkar, vont passer ultérieurement devant la juridiction criminelle. K. K.