Me Farouk Ksentini, président de la Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l'Homme (Cncppdh) et de la commission ad hoc chargée de la question des disparus, commente dans cet entretien plusieurs questions qui marquent l'actualité. Liberté : Le président de la république vient d'annoncer son intention de soumettre à référendum un projet d'une amnistie générale. Comment avez-vous réagi à cette annonce ? Me Farouk Ksentini : J'ai réagi très positivement à cette annonce, car je considère que c'est une décision à la fois opportune et courageuse. Toutes les situations de conflit et de violence internes de par le monde et dans l'histoire finissent par se solder par une amnistie générale. Il n'y a aucune raison pour que l'Algérie fasse exception. D'autant plus que le président a précisé que l'amnistie fera l'objet d'un référendum qui impliquera tous les Algériens. Et si les Algériens dans leur majorité votent pour l'amnistie générale dans le cadre d'un référendum, moi, je me soumets à la volonté populaire. Et les victimes du terrorisme ? Les victimes des actes du terrorisme ou les victimes des agents de l'Etat resteront toujours des victimes. Ce n'est pas l'amnistie qui va effacer ou leur faire perdre leur qualité de victime. Cela étant, pour parler d'amnistie plus profondément, il faudra attendre que le texte soit élaboré. On ne peut pas parler d'amnistie de façon abstraite. Car il se peut que l'amnistie soit sélective, c'est-à-dire que certains crimes pourraient être exclus de cette amnistie. C'est une supposition ; on verra bien à la lecture du texte. Que pensez-vous du fait que des terroristes aient été absous de leurs crimes sans avoir pour autant été jugés ? C'est une décision politique, c'est tout ce que je peux vous dire. Votre commission a travaillé pendant quatre années sur le problème des disparus. Avant fin 2004, allez-vous clore définitivement ce dossier ? Quelles sont les conclusions auxquelles vous êtes parvenu dans votre recherche de la vérité? Première conclusion importante : les disparus ne sont pas le fait des institutions de l'Etat. L'Etat algérien a combattu le terrorisme loyalement, pas par le contre-terrorisme. Moi je rattache les cas de disparition aux dépassements. S'il y a eu des dépassements, ils résultent du comportement exacerbé de certains agents de l'Etat qui ont agi illicitement dans l'exercice de leurs fonctions. C'est donc le fait de personnes et non pas d'institutions de l'Etat. Les institutions étatiques doivent être totalement innocentées dans cette question des disparus qui doit être imputée à certains agents de l'Etat. C'est pour cela que nous considérons l'Etat et les institutions comme responsables civilement des agissements de ces agents. L'Etat est dans ce cas responsable mais non coupable. Par quelle démarche êtes-vous arrivé à conclure que les disparitions sont le fait exceptionnel des agents de l'Etat ? Cette déduction n'est pas le fait du hasard. Vous savez que pendant la décennie en question, il y a eu près de 400 à 500 condamnations à mort. Depuis 1994 à ce jour, l'Etat n'a procédé à aucune exécution de peine capitale. Il s'est abstenu alors qu'il avait la possibilité de le faire en toute légalité. Comment imputer à l'Etat des exécutions extrajudiciaires alors qu'il répugnait les exécutions judiciaires légales ? Deuxièmement, lorsqu'on compare le chiffre des disparus, soit un peu plus de 5 200, avec le nombre des Algériens qui ont été déférés devant la justice soit pour fait de terrorisme, soit pour complicité de terrorisme, on s'aperçoit que le nombre de ces Algériens est vingt à trente fois plus élevé que celui des disparus. Du moment que ces Algériens ont été condamnés dans le cadre de procédures légales, on conclut dès lors que l'Etat a véritablement joué son rôle et a agi dans le cadre de la légalité. Donc le cas des disparitions, malgré les chiffres élevés, demeure l'exception. Et la règle a été l'arrestation et la traduction devant la justice des gens qui ont été suspectés de fait ou de complicité avec le terrorisme. Donc il y a une disproportion telle qu'on est obligé de conclure que les cas de disparition sont un dysfonctionnement, mais qui a été l'exception et non la règle. Comment allez-vous clore ce dossier des disparus et qu'allez-vous dire aux familles qui disent que leurs enfants sont encore vivants et détenus quelque part ? Nous dirons la vérité à ces familles, c'est capital. Qu'ils soient encore en vie ou décédés, nous ne leur cacherons pas la vérité. Autant que faire se peut, nous leur dirons même dans quelles circonstances leur décès est survenu. Vos enquêtes vous ont-elles permis d'identifier des disparus encore en vie ou se trouvant dans un lieu de détention ? Non. Nous n'avons pas identifié des personnes en vie, et surtout nous n'avons pas identifié des endroits où des gens seraient détenus secrètement et illégalement. Cela n'existe pas. D'après nos enquêtes et recherches, il n'existe aucun endroit de détention secret. Donc les disparus sont décédés ? Je ne peux parler que de ce que j'ai vérifié. J'ai vérifié que les disparus ne sont pas détenus dans des lieux secrets. Mais je ne tire aucune conclusion. Comment avez-vous réagi à l'emprisonnement des journalistes ? Je regrette infiniment leur emprisonnement. Pour Benchicou, je ne discute pas sur l'opportunité des poursuites à son encontre et s'il a commis une infraction parce qu'en dernier ressort, il appartient à la Cour suprême de nous le dire. Mais ce que je n'ai pas compris est qu'il ait été incarcéré le jour de sa comparution devant le tribunal d'El-Harrach et qu'un mandat de dépôt à l'audience a été décidé à son encontre. Un mandat de dépôt décidé dans ces circonstances n'était pas nécessaire, car on le mettant en situation de détention préventive, c'est un abus. Il aurait pu être laissé sous contrôle judiciaire et poursuivi jusqu'à l'épuisement des voies de recours. Malheureusement, il y a eu cette décision de le mettre sous mandat de dépôt le jour même. Je trouve cette décision injustifiée du point de vue du droit. N. M.