Les marins s'élèvent également contre la lenteur et la précarité des secours. Une foule était massée, hier matin, devant l'entrée du siège de la direction générale de la Compagnie nationale de transport maritime (Cnan). Dans le rassemblement se trouvaient de nombreux marins, dont certains avaient déjà embarqué sur le Béchar, le cargo ayant sombré à l'entrée du port d'Alger samedi soir. Venus aux nouvelles, les matelots sont pleins d'amertume et de ressentiment. Certains accusent ouvertement les autorités aéroportuaires et leur entreprise d'avoir anticipé le drame en multipliant les négligences et, plus tard, d'avoir accusé un énorme retard dans l'organisation des secours. Bisco est maître d'équipage. Il a travaillé pendant trois mois sur le Béchar. Il en est descendu en avril dernier. Ne mâchant pas ses mots, il qualifie le navire naufragé de bateau poubelle. “Ailleurs, on appelle ce genre d'embarcation comme ça. Quant à nous, on préfère parler de bateaus cassés car nous avons des attaches avec eux”, explique-t-il affecté. Le navigateur ne comprend pas qu'un navire aussi vieux (sa mise à l'eau date de 1978) et presque à l'abandon soit maintenu en mouillage pendant trois ans, sans qu'une opération de rénovation soit décidée. “Un bateau désarmé normalement ne doit pas rester en rade. Dans d'autres pays, des quais d'attente sont réservés à ce genre d'embarcation”, proteste un autre matelot. À ce sujet, de nombreuses voix se sont élevées pour décrier la gestion du port. Certains évoquent l'émission de pots-de-vin par des armateurs étrangers, généralement arabes, qui louent des espaces du port pour y abandonner leurs propres navires poubelles, alors que ceux de la Cnan errent d'un endroit à un autre. “Allez du côté des Sablettes, il y a deux bateaux, l'un syrien et l'autre égyptien qui sont là depuis des années”, soutient-on de toutes parts. Selon les marins, il faut également payer des “chippas” pour embarquer sur le navire de son choix. Les navires en rade sont les plus sollicités, car profitant de quelques largesses du commandant, les marins peuvent de temps en temps descendre à terre et aller voir leur famille. À bord du Béchar, ce n'était visiblement pas le cas. “C'était comme dans une prison. Quand j'allais voir mon frère, j'avais l'impression d'être dans un parloir”, dit celui-ci. Un autre confie que les matelots manquaient de tout, y compris d'eau potable. À l'évocation du drame et des secours, les propos sont plus aigres. “Plusieurs fois, nous avons eu des collisions en haute mer. Il ne se passait jamais une heure avant que les pays les plus proches envoient leurs équipes”, relate Bisco. “Le Béchar était à l'entrée du port et on n'a pas pu le sauver. C'est impensable !” s'indigne notre interlocuteur. Pour lui et nombre de ses collègues, il n'y a pas de doute : “L'équipage du Béchar était dans un cercueil.” 9 disparus, 7 corps repêchés et 2 rescapés Le nouveau bilan des opérations de sauvetage lancées pour retrouver les membres de l'équipage du cargo Béchar, qui a sombré, samedi soir, près du port d'Alger, fait état de la disparition de 9 marins et du repêchage de 7 corps, alors que 2 autres marins ont été secourus, indique, hier, un communiqué de la Cnan-Group. Selon la même source, ce nouveau bilan a été arrêté, mardi, à 16 h. Les opérations de sauvetage et de recherche en mer “se poursuivent toujours” avec le “concours de l'ensemble des services concernés”, ajoute-t-on. 18 marins des 28 composant l'équipage étaient à bord du navire le jour du naufrage. Par ailleurs, une cellule d'accueil et d'orientation a été mise en place pour réceptionner les appels des familles des disparus. S. L.