Les chrétiens d'Algérie ne constituaient pas un bloc homogène pendant la période coloniale. Originaires de France et d'autres pays européens, ils réagissaient différemment par rapport à la guerre de libération nationale. Une partie des chrétiens a fait preuve d'ouverture, d'écoute des voix opprimées et des changements opérés sur le terrain de la lutte anticolonialiste. C'est au sein de cette dernière que des voix se sont élevées pour dénoncer la misère des Algériens, les "abus" du système colonial et l'usage de la torture ou pour soutenir la Révolution algérienne. C'est le cas de l'archevêque d'Alger, Mgr Etienne Duval (plus tard cardinal) qui, dès 1956, se prononce en faveur de l'autodétermination de l'Algérie. Dans son ouvrage Algérie 1954- 1962. La torture en question. Témoignage chrétien : le dossier Jean Muller, l'historienne Malika El-Korso évoque la "gauche chrétienne" qui, en pleine guerre de libération, fait figure de "parti de la résistance spirituelle". Une gauche qui s'est déjà démarquée sur la question coloniale en Indochine, à Madagascar, au Maroc et en Tunisie ; qui a ses médias (Témoignage chrétien, Esprit, Le Bulletin...), ses plumes (Robert Barrat, André Mandouze...) et ses prêtres (pères Scotto, Davezies et Berenguer, Mgr Duval...). D'après l'historienne, le dossier du jeune appelé Jean Muller‚ mort précocement en mars 1956, en Algérie, sera à l'origine d'un "emballement médiatique" et de témoignages accablants de Français ayant servi en Algérie et des torturés dans les prisons. Mais si des chrétiens ont dénoncé, en Algérie et en France, individuellement ou en groupe, l'usage de la torture par le système colonial, l'Eglise, elle, s'est toujours refusée de prendre une position claire. C'est seulement en 1960, sous l'influence de Mgr Duval, qu'elle condamnera la torture. De son côté, l'ex-négociateur des accords d'Evian, Réda Malek, a rappelé, en octobre 2012, lors de l'enterrement du professeur en médecine Pierre Chaulet, le "rapport entre l'Eglise d'Algérie et le peuple algérien" et le travail réalisé par le défunt, conjointement avec d'autres personnalités, comme André Mandouze, le cardinal Duval et l'abbé Scotto. L'ex-chef du gouvernement a relevé une "évolution d'une partie de l'Eglise" et témoigné du choix du couple Chaulet de se mettre aux côtés "des opprimés et des humiliés", dès le début de la Révolution. Le militant anticolonialiste s'en est allé à l'âge de 82 ans, enveloppé dans le drapeau algérien, vers le cimetière d'El-Madania (ex-Clos Salembier) pour reposer (à sa demande) à côté du communiste Henri Maillot. Même parti, Pierre Chaulet continue à nous parler. Enterré tout près de Maillot, il nous invite à faire honneur à la Révolution, en dépassant étroitesses et autres clivages, en préservant l'union fraternelle et la flamme d'un combat libérateur et national, qui n'avait aucun caractère de race ni de religion.