Tout a été minutieusement préparé par le défunt avant son décès : recouvrir son cercueil de l'emblème national, désigner Mgr Henri Teissier, l'ancien archevêque d'Alger, pour présider et célébrer l'office religieux, choisir des textes de l'Evangile. L'office religieux célébré, hier matin à la Maison Diocésaine, au Val d'Hydra (Alger), en hommage au militant de la Révolution algérienne, le professeur Pierre Chaulet, a été à la fois beau et émouvant. La petite église était archicomble. Outre la famille du défunt, composée de sa veuve, Claudine Guillot-Chaulet, de son frère, de ses trois enfants et leurs conjoints (es), ainsi que de ses petits-enfants, d'anciens combattants de la guerre de Libération nationale, dont Mohamed Mechati, membre du groupe des 22, et Ali Haroun, ancien responsable de la Fédération de France du FLN, l'ex-négociateur des accords d'Evian, Rédha Malek, des ex-chefs du gouvernement et ex-ministres, comme Mouloud Hamrouche, Sid-Ahmed Ghozali, Smaïl Hamdani, Lakhdar Brahimi et Hamid Aberkane, des représentants de partis politiques, des membres du corps médical, de même que des universitaires et chercheurs, des journalistes, des militants des droits de l'Homme et du mouvement associatif, ont tenu à assister à la rencontre commémorative, pour un dernier adieu à l'“un des enfants exceptionnels" de l'Algérie. Même décédé, le Pr Chaulet a réussi à rassembler ses concitoyens autour de l'amour pour son pays. Même décédé, il a laissé sa profonde empreinte d'homme croyant, mais aussi d'homme scientifique privilégiant la réflexion et la rationalité. En effet, tout a été minutieusement préparé par le moudjahid, décédé vendredi dernier, avant qu'il ne rende son dernier souffle : recouvrir son cercueil de l'emblème national, désigner Mgr Henri Teissier, l'ancien archevêque d'Alger, pour présider et célébrer la messe d'hier, choisir des textes de l'Evangile (Nouveau Testament), glorifiant avant tout l'Amour mobilisateur et durable qui “ne se réjouit pas de l'injustice, mais (qui) trouve sa joie dans la vérité" et, pour son enterrement, opter pour le cimetière chrétien de Diar Es-Saâda, à El-Madania (Alger), aux côtés d'Henri Maillot, cette autre figure de la cause nationale... C'est vers dix heures que la famille Chaulet a fait son entrée dans l'église, derrière le cercueil, porté par des agents de la Protection civile. Très ému, Mgr Teissier a mené la messe comme un vrai chef d'orchestre, témoignant de ces longues années qui l'ont lié à Pierre Chaulet, cédant la parole au frère, puis au fils du défunt, réservant un temps pour chacun des trois chants religieux : “Pour un seul et même Dieu" ; “Aimer, c'est tout donner" et “Sur le seuil de sa maison". Avant d'annoncer que la parole est donnée à trois personnes “choisies" par le défunt, à savoir Rédha Malek, Janine Belkhodja, ex-médecin du FLN pendant la guerre de Libération nationale et professeur en gynécologie obstétrique, et Omar Zelig, alias Luc Chaulet (réalisateur radio, auteur et dessinateur), représentant la famille Chaulet. Le témoignage de l'ancien Chef du gouvernement a apporté de nombreux éclairages à la militance du Pr Chaulet. “Depuis 50 ans que je le connais, je n'ai jamais vu Pierre dévier de sa ligne de conduite", a déclaré Rédha Malek, en insistant sur cette “rectitude qui a forgé son caractère de futur militant de l'indépendance et de futur citoyen de la République algérienne". L'ex-négociateur des accords d'Evian a, en outre, parlé du travail réalisé par le défunt, conjointement avec d'autres personnalités, comme André Mandouze, le cardinal Duval et l'abbé Scotto, quant au “rapport entre l'église d'Algérie et le peuple algérien". “Dès le début de la Révolution, l'archevêque a dénoncé la torture", a-t-il déclaré. M. Malek a également observé “une évolution d'une partie de l'église", qui avait pris position pour la décolonisation de l'Algérie. Il a aussi parlé des convictions de Pierre et de sa compagne, Claudine, qui avaient choisi, selon lui, de se mettre “aux côtés des opprimés et des humiliés", dès novembre 1954. Plus encore, dira-t-il, le Pr Chaulet avait contribué à apporter à la Révolution “l'ouverture à l'universalité". “Pierre a révélé la diversité de ses dons : journaliste, cinéaste et médecin. Il a été unanimement respecté par les combattants algériens. À l'indépendance, Pierre et sa femme se sont mis au travail, dans une Algérie où tout était à faire. Nous les avons vus sur tous les fronts", a souligné Rédha Malek, rappelant notamment les actions réalisées par le défunt, dans les domaines de “la formation des médecins", de “la réforme de la santé publique", de “l'ouverture de la santé à tous" et de “la lutte contre la tuberculose". L'ancien Chef du gouvernement a, par ailleurs, fait état de “l'engagement personnel" de Pierre Chaulet, dans la défense des droits de l'Homme en Algérie et dans la défense des peuples africains en lutte. “Après toutes ces actions, Pierre partageait les joies et les souffrances, les espérances et les désillusions de ce peuple", a-t-il soutenu, en ajoutant : “Aujourd'hui, nous disons merci à Pierre pour nous avoir donné l'exemple du courage et du dévouement sans borne. Aujourd'hui, au-delà de la reconnaissance que nous lui devons, il faut poursuivre son œuvre exceptionnelle." De son côté, Mme Belkhodja a axé son intervention sur le parcours médical de Pierre Chaulet qui, selon elle, est “intimement lié à son militantisme", sur cet homme resté “attentif aux relations humaines" et sur ses préoccupations, ces dernières années, devant la situation de la santé publique. Enfin, le témoignage de son fils a apporté une nouvelle touche au portrait du défunt, un homme qui était “toujours caustique", qui avait “le sens de la boutade", mais qui “aimait la vie". Vers 11h15, les agents de la Protection civile sont invités à transporter le cercueil du Pr Chaulet, pour le conduire à sa dernière demeure. La dépouille de celui qualifié “non seulement d'exception dans la minorité européenne, mais aussi d'exception au sein même du peuple algérien" quittera alors l'église, complètement métamorphosée par les chants religieux, les youyous, les applaudissements et par beaucoup d'émotion. H A