La date du 1er Novembre est intimement liée à celle d'une nation, de territoires, à l'instar des Aurès. Aujourd'hui, 60 ans après le déclenchement de la guerre de Libération, nous sommes partis en pèlerinage dans ces hauts lieux de l'histoire afin de mettre des images sur des noms que des poètes ne cessent de chanter et que des politiques ne ratent aucun discours pour les citer. Il y a 60 ans, en prévision des attaques du 1er Novembre 1954, et dès le 29 octobre, Mustapha Benboulaïd réunira, dans le plus grand secret, un groupe composé de 350 moudjahidine dans des maisons appartenant à la famille des Benchaïba, à Ouled Moussa. Un autre groupe de 80 moudjahidine était, lui, regroupé à Tibakaouine. En ce mardi 29 octobre 2014, soit 60 ans après, jour pour jour, nous sommes de retour dans ces lieux situés sur une colline surplombant oued Lebiod et dominant la route menant vers Ichemoul et celle vers Arris. Ouled Moussa est un hameau de 250 maisons que dominent les ex-maisons des Banchaïba devenues, entre temps, un musée, ainsi qu'une école primaire et une autre coranique. Sur l'esplanade du musée, des guirlandes annoncent la célébration de l'événement dans les prochains jours comme, d'ailleurs, ces jerricanes vides devant les portes des maisons qui annoncent, elles, le passage imminent des camions-citernes pour livrer l'eau potable à une population appelée, six décades après, à acheter de l'eau au litre pour étancher sa soif. En ce début d'après-midi, le village est quasi vide si ce n'est quelques séniors, traînant le pas, de retour de la mosquée après la prière du dohr, et de quelques enfants qui s'adonnaient, sans brouhaha, à quelques jeux. De vieilles constructions en pierre côtoient de nouvelles bâtisses toujours en chantier, à l'image de cette épopée novembriste qui semble n'avoir jamais abouti. Aucune présence de jeunes sur les lieux. Ouled Moussa ne vit ni au présent ni même au passé, car les portes du musée sont fermées à J-4 de l'événement pour lequel le tout Alger médiatique est déjà mobilisé. Une annexe de la mairie pour rapprocher l'administration des administrés, une auberge de jeunes pour recevoir les visiteurs, le gaz de ville pour chauffer ces maisons témoins de notre épopée, des routes praticables, de l'eau dans les robinets... tout cela, c'est pour allonger la liste des promesses électorales non tenues. Ouled Moussa est à l'image de tout Ichemoul, ce chef-lieu de commune et aussi de daïra, dont le nom s'est associé à Novembre et à la guerre de Libération. La veille, en arrivant dans la localité, et alors que du poste radio de notre voiture fusaient des chants patriotiques entrecoupant des émissions dédiées à notre "thawra", et si ce n'est une banderole de circonstance souhaitant la bienvenue à l'entrée de la médina, le chef-lieu de la commune et daïra d'Ichemoul, rien n'indiquait qu'on était au cœur des territoires qui ont couvé le fait fondateur de notre Etat-nation. Même devant la bâtisse de l'hôtel de ville, la seule banderole qui existe rappelle l'ouverture de la révision des listes électorales. Novembre semble avoir déserté les lieux depuis des lustres. Pour cette commune, dont Ouled Moussa est l'une des dechrate de plus de 12 000 habitants, point d'hôpital, mais juste une polyclinique qui assure, heureusement, les urgences. Si pour l'enseignement, la ville est dotée d'un lycée et de deux collèges d'enseignement moyen, pour les équipements sociaux, c'est le chaos, comme le reconnaît Mohamed Boulakouas, un des adjoints au maire de la localité. "Cela fait 26 ans qu'Ichemoul est chef-lieu de daïra, et elle n'a toujours pas d'agence Sonelgaz, pas de service hydraulique, ni des ponts et chaussées malgré le relief de la région, ni des contributions fiscales, ni de Cnas, ni de Casnos, ni de pompiers, encore moins de siège de la caisse de retraite", s'insurge Ahmed, un arboriculteur. "Quand l'eau coule dans nos robinets, c'est un jour sur trois, voire sur sept, et on est obligés de recourir aux services des livreurs en citernes pour boire un liquide de qualité", continue notre interlocuteur. Selon un confrère journaliste et originaire de la région, presque trois décennies après, les services de la daïra d'Ichemoul sont toujours assurés par la daïra mère qu'est Arris. "Même nos ordures, à travers la décharge publique, sont gérés par Arris", lance un employé de l'APC qui regrette que le statut de chef-lieu de daïra se résume à une bâtisse, un sous-préfet et une circonscription électorale.Amine, un jeune de Foum Etoub, rencontré à El-Medina, se demande comment l'Algérie de 2014, celle qui va glorifier, à travers le discours de ses officiels, ce 1er Novembre, les jeunes de 1954, a oublié de doter Ichemoul d'un stade et d'un centre culturel. "Ici, même la Maison de jeunes se résume à des murs avec, comme personnel, juste un directeur et un gardien. Quelle est cette jeunesse qui n'est émancipée ni par la culture ni par le sport et qui sera capable, demain, de porter le témoin des Benboulaïd, Laâdjoul et autres Si Lakhdar ?", finit par s'interroger notre jeune avec un goût amertume aux bouts des lèvres. Ici, la jeunesse, exception de l'agriculture et de l'enrôlement dans les corps de l'armée et des services de sécurité, n'a que le chômage comme issue. Aucun investissement économique, qu'il soit public ou privé, n'a vu le jour, exception faite d'un projet mort-né d'usine de textile lancé dans les années 1980. La douleur de Tighanimine et de Taghith Du sang des martyrs versés... aux eaux usées déversées La nuit du 1er Novembre, dans la pénombre hivernale d'un Aurès au climat glacial, des hommes, sortis juste de leur adolescence, engouffrés dans des kachabias tissées par des hrayer, dignes héritières de la Kahina, et armés de quelques fusils mais, surtout, de leur amour pour une Algérie indépendante et moderne, mèneront les premières actions armées annonçant une saga longue de 7 ans et demi d'héroïsme. L'événement qui fut, plus tard, le plus médiatisé est l'attaque menée par le chahid Chihani Bachir au Kheng, situé à une équidistance de 2 km, entre Tighanimine en direction d'Ichemoul et de Taghith en direction Tekout. Le bus assurant la liaison Biskra-Arris est attaqué, faisant 3 morts dont le caïd de Mechounech. Après notre passage à Ouled Moussa, il fallait marquer une halte au niveau de ces deux villages témoins de ce fait d'arme, Tighanimine et Taghith en l'occurrence. Des anciennes mechtas, il ne reste que des ruines, les nouveaux villages ont pris forme sur le talus de la RN31. Ici, l'activité première est l'agriculture, mais les "souagui", les systèmes traditionnels d'irrigation, sont déjà perdus faute d'eau qui ne coule plus. La sécheresse s'installe depuis deux années. Si ce n'est les rejets des réseaux d'assainissement de toute la région d'Ichemoul, oued Lebiod est à sec. Les rares parcelles, toujours cultivées, sont irriguées depuis un cours d'eau pollué. À Taghith, qui relève de la commune de Tkout, quelque 250 familles continuent d'y vivre car, ici, l'exode est au quotidien. La dechra aux 130 moudjahidine et martyrs, comme aime nous le rappeler cheikh El-Hocine, assiste, et sans broncher, au départ de ses enfants vers des cieux plus cléments. Lui, il a 6 enfants et ils sont tous partis de la maison. Il reste seul avec sa femme et les visites de sa progéniture deviennent de plus en plus espacées. Le cordon ombilical entre les Aurès et sa jeunesse se rompt de plus en plus. Son temps, El-Hadj El-Hocine le passe à attendre que les promesses des élus et des autorités se réalisent un jour, comme celle de raccorder Taghith au gaz de ville. "Faute de nous réchauffer, ils ont installé des compteurs, avant de partir", remarque le septuagénaire. À l'intérieur de la mechta, la route n'est plus praticable, pourtant refaite il y a moins d'un an. L'aménagement laisse à désirer avec des maisons qui poussent, mais sans accès. Côté Ichfoumader, c'est plus qu'une très belle oasis qui est polluée. C'est tout un espace de notre mémoire et de notre fierté qui l'est. Ici, les eaux usées des mechtas viennent se déverser sur la même parcelle que deux martyrs, Beza Amor et Benssaâdi Abdellah, avaient irriguée de leur sang en 1958. De l'autre côté du Kheng, Tighanimine. Quelques 200 familles continuent de vivre dans cette célèbre mechta qui dépend d'Arris. Mais sa notoriété ne l'a pas épargnée du mal qui ronge cet arrière-pays des Chaouïa : la mal-vie et la misère socioéconomique. Comme pour Taghith, le nouveau douar est situé au dessus de la chaussée de la RN31 faisant face au vieux village désaffecté. Il s'articule autour d'une mosquée et d'une ancienne école transformée depuis l'année 2000 en cantonnement militaire, donnant une image hideuse au site et renvoyant de sinistres flashs toujours gravés dans la mémoire collective. "On est en 2014, et même el-amn makanech, sinon, comment expliquer la présence d'une caserne au milieu d'un village ?" s'interroge Nabil pour résumer l'état des lieux de son patelin. L'école fut dans les années 1990 un cantonnement des gardes communaux, tous issus du village. Elle a subi une sanglante attaque terroriste il y a 14 ans de cela, causant la perte de 7 supplétifs. L'armée prendra la relève et y est installée à ce jour. Ici, aussi, pas de gaz de ville et l'eau est rationnée un jour sur sept. La route est défoncée, les bâtisses font office à la fois d'appartements et d'écuries. Pour rejoindre leur école, les enfants sont contraints de faire quotidiennement plus de 4 km à pied sous la pluie et la neige. La nuit commençait à tomber. La pluie fine l'après-midi est de plus insistante et le froid commence à s'installer dans ces contrées arides. La route vers Batna puis Constantine sera longue le long d'une RN31 sinueuse qui cache sous l'un de ses talus une dechra qui ne porte pas son nom : El-Bacha. Un foyer de misère, que l'obscurité de la nuit nous épargna de voir.