Pour le premier responsable du secteur des finances, la coalition a du mal à comprendre la portée et l'impact du programme gouvernemental. “Nous n'avons pas souffert de la loi de finances, mais de la projection dans les débats parlementaires sur la loi de finances de la crise des partis politiques”, a déclaré hier le ministre des Finances sur les ondes de la radio Chaîne III. “Chacun sait, c'est un secret de Polichinelle, que le FLN se cherche et d'autres partis se cherchent un peu aussi. C'est donc une merveilleuse occasion pour les différentes tendances qui s'affrontent dans les différents partis de régler leurs problèmes à l'occasion de la loi de finances”, affirme Abdelatif Benachenhou qui soutient que la coalition “a du mal à comprendre la portée et l'impact du programme du gouvernement”. Le grand argentier du pays souligne, notamment l'absence de coordination au sein des partis politiques et le rapport qu'ont les formations politiques et le gouvernement. “Je ne dirai pas plus, mais il y a des problèmes”, dit-il. Il reconnaît un déficit de communication sur la nature et l'impact de l'ouverture économique du gouvernement. Le système rentier bloque les réformes Le ministre des Finances refuse d'évoquer le blocage des réformes. “Il y a un phénomène d'inattention à l'urgence des réformes”, répond-il diplomatiquement. Le ministre partage les analyses des institutions internationales qui estiment que la rente bloque les réformes. M. Benachenhou en paraphrasant un “grand homme politique” affirme que “la réforme n'est pas une soirée de gala”. La réforme impose nécessairement des arbitrages qui font plaisir à certains et qui profitent à d'autres. Il n' y a pas de réforme sans remise en cause d'un certain nombre d'intérêts. “Le consensus, bien sûr, mais sur certains dossiers il est impossible de l'obtenir”, juge le ministre. Et de rappeler qu'il a “déjà dit” et qu'il “continue à le penser que le secteur public doit être sérieusement réformé”. Il ne parle pas de la totalité du secteur public. Il cite, “en toute liberté”, essentiellement 25 entreprises qui occupent 82 000 travailleurs et qui pèsent sur le Trésor “massivement”. “Est-ce que nous refusons ou nous reportons la réforme parce que 82 000 Algériens que nous respectons se trouvent dans 25 entreprises qui pèsent énormément sur le Trésor et continueront à peser ?” s'interrogent le ministre. “Le consensus oui, mais il y a des moments où il faut prendre des décisions. Nous avons les moyens de financer l'impact social de nos décisions. Mais ces décisions, il faut les prendre”, soulignera-t-il. Il a révélé que des projets qu'il a lancés lors de son premier mandat ont été gelés pendant son absence. “Il a fallu les réactiver après mon retour aux finances.” Le ministre ne va pas jusqu'à relever l'absence de continuité de l'Etat. Il préfère parler de “manque” de perception, de priorité… Il cite l'exemple du marché du tabac. “Quand je suis arrivé la première fois au ministère des Finances, j'ai trouvé une situation assez banale : un monopole de la Société nationale des tabacs et une contrebande qui occupe la moitié du marché”, explique-t-il. Il propose alors l'ouverture du secteur du tabac à d'autres producteurs. L'avancée réglementaire a mis quatre ans. Selon lui, le pouvoir d'achat des ménages algériens, en moyenne depuis les six dernières années, a augmenté de 4% par an en termes réels. “Je n'exclus pas que dans certaines zones isolées et dans certaines wilayas du pays l'existence de problèmes. Mais il y a infiniment moins de pauvres. Nous pouvons le prouver. Les statistiques sur les 14 millions de pauvres n'ont été trouvées par personne”, soutient le ministre. M. Benachenhou ne va pas toutefois jusqu'à nier la présence de pauvres en Algérie : “Je crois qu'il serait malhonnête de ne pas le reconnaître, mais les poches de pauvreté sont bien localisées”, précise-t-il. Banques publiques : circulaire Ouyahia sur orientation du chef de l'Etat Le ministre des Finances justifie la circulaire du Chef du gouvernement par “la blessure” causée par “la saignée” Khalifa. Questionné sur son discours et celui du Chef du gouvernement qui peuvent paraître contradictoires, le ministre affirme simplement que “le Chef du gouvernement a raison à court terme” et que lui “l'est à moyen terme”. Le ministre précise que c'est une décision prise sur orientation du président de la République. “Il faut que les choses soient clarifiées”, affirme M. Benachenhou qui précise ne pas vouloir faire porter le chapeau au Chef du gouvernement. C'est “une décision du président de la République qui a dit qu'il ne peut pas accepter de revivre ce qui s'est passé avec El Khalifa Bank”. M. Benachenhou donne raison à ceux qui estiment qu'il faut plutôt renforcer la supervision. Le ministre des Finances, avec le renforcement de la supervision, soutient que la circulaire du gouvernement devra être levée. “Parce qu'on ne pas vivre avec deux marchés bancaires dans un même pays. Je ne peux accepter qu'un chèque de la société privée réputée internationalement soit refusé par une banque publique. À ce moment-là, on casse le marché. Comment voulez-vous que les investisseurs étrangers viennent dans notre pays ?” explique M. Benachenhou. Le ministre affirme que ce n'est pas durable, c'est une mesure de prévention ; le message, selon lui, a été entendu. Il faut donc progresser vers une autre solution. Amendements des députés : la Cnac y perd 15 milliards de dinars Les amendements des députés, rappelle le ministre, ont un impact budgétaire de 30 milliards de dinars de manque à gagner pour le budget. “Nous serons obligés dans certains cas de diminuer certaines allocations, dans le respect de la loi.” C'est dommage, regrette M. Benachenhou, parce que dans les 30 milliards en question, il y a 15 milliards qui devaient être versés par la Cnac au Trésor. “Je suis un peu malheureux de constater que la Cnac dispose de 85 milliards de dinars placés dans les banques et que le ministère des Finances est obligé d'emprunter de l'argent et de payer des intérêts pour que la Cnac puisse continuer à disposer de cette somme dans les banques”. Il y a là, de son point de vue, une irrationalité financière qu'il tient “particulièrement” à souligner. La Cnac est une institution chargée de verser des allocations chômage, lorsque cela se produit. Depuis pratiquement des années, il n'y a pas eu de licenciement pour cause économique. “C'est très important, il faut s'en féliciter”, note le ministre. Mais la Cnac a continué à accumuler des cotisations. Elle a des recettes, mais pas de dépenses. Le ministre n'est pas favorable à l'idée d'une loi de finances complémentaire. “Je ne suis pas dans une impasse budgétaire”, estime-t-il. Une loi de finances complémentaire, selon lui, doit répondre à des circonstances exceptionnelles. Cela a été le cas durant le séisme. Seulement, précise-t-il, “le président de la République, pour des raisons liées au fonctionnement des institutions et aux engagements internationaux, peut décider autrement”. La mesure sur l'interdiction d'importation de boissons alcoolisées veut dire que l'Algérie ne respecte pas deux principes qui sont au cœur des règles de l'OMC : la réciprocité et le traitement national. Les banques publiques malades des déficits des entreprises La conviction du ministre des Finances est faite : “Tant que les banques publiques auront des clients malades que l'Etat prend en charge, elles n'auront aucune raison de bouger.” La baisse du dollar affecte d'abord la valeur des réserves de change, qui clôtureront l'année autour de 41 à 42 milliards de dollars. Le ministère des Finances avec la Banque d'Algérie, depuis trois ans, ont restructuré les réserves de change pour qu'elles correspondent à la structure des dépenses extérieures de l'Etat. Le remboursement par anticipation de la dette extérieure est un dossier important pour le ministre des Finances. Il n'est pas admissible, aux yeux de M. Benachenhou, de continuer à payer des intérêts de 10 à 11% sur l'euro. Car, explique-t-il, les taux d'intérêt sont élevés et la monnaie est chère. Plus l'euro monte, plus le nombre de dollars qu'il faut débourser pour payer la dette augmente. C'est la raison pour laquelle le ministre a proposé au gouvernement que toute la partie euro avec un taux d'intérêt élevé soit remboursée. En 2004, l'Algérie a remboursé pour 57 milliards de dinars de prêt à l'Arabie Saoudite et à la Banque africaine de développement. Le ministre a, par ailleurs, retraité les dettes avec les banques publiques à travers la titrisation de la dette publique interne, qui maintenait le marché, alors qu'auparavant elle était au taux fixe de 6% sur vingt ans. 27 milliards de dinars ont été ainsi économisés. L'année prochaine, il est possible d'économiser 60 milliards de dinars si la même politique est mise en œuvre, projette le ministre. M. R.