Les deux variables qui vont permettre à la fois de prendre la mesure de la menace et de spécifier ensuite les termes de la riposte sont d'une part le palier stabilisé de la baisse du prix du baril et d'autre part sa durée probable. L'historique des données provenant des marchés pétroliers et la nature des stratégies mises en œuvre par les acteurs majeurs devraient, en principe, permettre d'estimer, à défaut de mesurer, cet intervalle de variation et sa durée estimée. Mais la difficulté, pour ce faire, réside dans les stratégies cachées de ces acteurs, renvoyant, en dernier analyse, aux objectifs géopolitiques de leurs pays respectifs. En effet, au delà des stratégies marchandes affichées des compagnies pétrolières, les incertitudes géopolitiques continueront de brouiller la visibilité des tendances des marchés. Mais, malgré ce caractère aléatoire dans lequel se meut le marché des hydrocarbures, on peut tout de même construire des scenarii indicatifs probables. Essayons de faire cet exercice difficile de prévision pour esquisser les réponses algériennes possibles. Comme vous le savez la chute, non anticipée par l'OPEP si l'on se reporte à la déclaration finale de sa réunion de juin 2014, a débuté à cette date. Depuis le prix du baril a perdu 40% de sa valeur en descendant à son plus bas niveau depuis 2009. De plus les conséquences négatives de cette chute sur les recettes de nos exportations de gaz ne vont se faire sentir qu'au premier semestre 2015 du fait de l'indexation déphasée dans le temps des prix du gaz sur ceux du pétrole. Le vendredi 5 décembre le cours du baril de Brent a clôturé à moins de 70 dollars, plombé par la baisse des prix officiels du pétrole de l'Arabie saoudite qui privilégie la préservation de ses parts de marché. Il faut savoir que ce pays maintient toujours sa politique de réduction des prix au profit de ses clients asiatiques et américains. On ne peut donc exclure l'hypothèse que ce pays laissera glisser les prix au niveau de 60 dollars le baril. L'Arabie saoudite fait subir au prix du baril une double peine : le maintien du plafond OPEP de 30 millions de baril/jour malgré une offre abondante et la baisse de ses prix affichés. Les conditions, pour envisager un scénario de retour rapide à un baril à 80 dollars, ne me semblent pas réunies, alors même que ce niveau de prix n'arrange pas nos affaires. En l'état actuel des choses le maintien d'un prix du baril à 70 dollars constitue déjà une hypothèse optimiste. Cette situation persistera au moins jusqu'à juin 2015, date de réunion de l'OPEP. La durée de cette crise pétrolière est de nature critique car selon que l'on a affaire à un cycle baissier long (1986) ou à un cycle baissier court (1998 et 2008) les impacts seront passagers ou structurels. Après le cycle baissier long de 1986, Réda Malek chef du gouvernement, a été amené en 1994, contraint et forcé, à signer un programme d'ajustement structurel (PAS) douloureux qui a duré jusqu'en 1998. A l'inverse le Président Liamine Zeroual avait refusé, lors du cycle baissier court de 1998, le soutien de notre balance de paiements proposé par le FMI. Enfin lors du cycle baissier court de 2008 et 2009, le chef du gouvernement Ahmed Ouyahia avait opéré des ajustements dans l'urgence. Ex post, certaines mesures avaient été jugées excessives voire contreproductives. Pour cette fois, dans les conditions aléatoires que j'ai indiquées plus haut, le recours aux seules stratégies défensives d'ordre conjoncturel consistant à utiliser les instruments disponibles de résistance "aux chocs externes" (FRR, réserves de change) ne me paraît répondre aux exigences et à la gravité de la situation. Quand bien même nos points forts tels que l'absence de dette, le raffermissement du dollar, donc du pouvoir d'achat du pays et le niveau faible d'inflation sont autant de facteurs de diminution de la pression sur la balance des paiements. Mais la résilience du cadre macroéconomique a ses limites parce qu'elle est précisément fondée sur les seules recettes d'hydrocarbures. Par conséquent il va falloir donner des réponses d'ordre structurel pour sortir définitivement de cette vulnérabilité prégnante. D'autant que rien ne garantit, à l'issue de l'épuisement des ressources du FRR et des réserves de change (3 à 5 ans), une remontée significative et durable des prix et une production de quantités suffisantes d'hydrocarbures de nature à desserrer la contrainte externe et budgétaire, réalimenter le FRR tout en reconstituant des réserves de change suffisantes. Aussi on ne peut se contenter cette fois de mettre la poussière sous le tapis en gérant le court terme par le recours au bas de laine. Il s'agira d'engager tout de suite les réformes et les ajustements requis pour basculer réellement vers une économie productive diversifiée. Reporter ces réformes va compliquer le passage à une économie productive hors hydrocarbures. Ces réformes exigeront la construction d'un consensus politique et social car il faudra faire partager équitablement les coûts. Ces dernières, à large spectre, devraient porter aussi bien sur les politiques publiques de rationalisation budgétaires et de transferts sociaux, de révision des modèles de consommation que de la fermeture des robinets de rente. En principe, aguerris par les pratiques d'Etat de gestion des crises financières précédentes esquissées plus haut, les pouvoirs publics devraient faire autant sinon mieux cette fois-ci. Encore faut-il ne pas sous estimer les dangers qui nous menacent. M. M.