La dernière sortie médiatique de l'"émir" de l'AIS, Madani Mezrag, sur Echourouk TV est déroutante. Il annonce qu'il existe un décret présidentiel autorisant les dirigeants du Fis dissous à faire de la politique en complète contradiction avec les dispositions de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale et l'article 42 de la Constitution. Madani Mezrag, qui s'exprimait lors d'un débat télévisé l'opposant au docteur en sciences politiques et colonel à la retraite, Ahmed Adimi, et Zoubida Assoul, ancienne magistrate et coordinatrice du parti de l'Union pour le changement et le progrès (UCP), répète à plusieurs reprises : "Vous ne comprenez pas, nous sommes autorisés à activer et nous le faisons depuis début 2000." Madani Mezrag affiche même une certitude quant à l'obtention par le Fis dissous d'un agrément pour créer un nouveau parti politique et pense que la Constitution consensuelle qu'a promise le chef de l'Etat balisera le terrain au retour du Front sur la scène politique. Il s'étonne même de notre "naïveté" de croire que l'Etat, dans une prise de conscience, rappellera les membres du parti dissous au respect des articles de la Constitution et de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale. "L'Etat ne nous interdira pas de nous réunir", dit-il, soutenant que l'AIS a organisé "une université d'été" à la fin du mois d'août dans les montagnes de Jijel, sans autorisation légale, mais avec l'accord tacite de toutes les institutions de l'Etat, dont l'Armée. Les révélations de Madani Mezrag mettent à nu les contradictions de l'Etat si prompt à interdire une conférence, un rassemblement ou une marche émanant d'une personnalité, d'une formation politique ou d'une frange de la société civile et en même temps à fermer les yeux sur les activités des membres d'un parti officiellement dissous, de surcroît dans un endroit symbolique que sont les montagnes de Jilel. Le dossier de l'ex-Fis a toujours été conjugué aux intrigues des coulisses et aux privilèges accordés aux représentants de cette mouvance dont certains sont désormais considérés par le pouvoir comme des "personnalités politiques". Est-il possible que Bouteflika pousse les concessions jusqu'à contredire les textes de la réconciliation nationale, son seul véritable projet politique, et mettre ainsi tout un Etat en danger ? Dans son chapitre mesures pour prévenir la répétition de la tragédie nationale, la Charte pour la paix et la réconciliation nationale interdit, dans son article 26, l'exercice de l'activité politique, sous quelque forme que ce soit, pour toute personne responsable de l'instrumentalisation de la religion ayant conduit à la tragédie nationale et ayant participé à des actions terroristes. Si la levée de l'interdiction de l'exercice politique aux membres du parti dissous est confirmée officiellement, elle sera logiquement suivie par l'amendement de l'article 42 de la loi fondamentale qui interdit également la création de partis politiques sur une base religieuse, linguistique, raciale, de sexe, corporatiste ou régionale. Le pouvoir est tenu aujourd'hui d'infirmer ou de confirmer les révélations de Madani Mezrag pour lever cette opacité inquiétante sur un dossier qu'Ahmed Ouyahia et Abdelmalek Sellal ont soutenu, à maintes reprises, qu'il était clos. N H