Entre le soutien à la charte pour la paix et la réconciliation nationale, prononcé au lendemain de l'attentat qui a ciblé Mustapha Kertali, et l'annonce d'une initiative politique, il y a sûrement une ligne rouge qui a été franchie. Madani Mezrag, gracié dans le cadre de la loi sur la concorde civile et la charte pour la paix et la réconciliation, deux textes ayant reçu l'aval du peuple algérien à travers deux référendums, n'a pas hésité à exploiter politiquement l'attentat de Larbâa pour tenter de remettre en selle le parti dissous et demander ni plus ni moins l'ouverture du champ politique. Si ce n'est pas la première fois que les anciens de l'AIS et du FIS essaient de trouver des brèches pour s'exprimer, il n'en reste pas moins que les pouvoirs publics, censés veiller au strict respect de la charte, sont tenus de remettre les pendules à l'heure à tous ceux qui sont responsables de la tragédie nationale. Retour du FIS sur la scène politique nationale ? À prendre pour argent comptant les révélations de l'ex-“émir” national de l'armée islamique du salut (AIS), Madani Mezrag, faites ce jeudi, cela relève presque de la pure formalité. Un “léger contretemps” aurait retardé l'annonce par d'anciens membres du FIS dissous et de l'instance à l'étranger, ainsi que des dirigeants de l'AIS de la naissance d'un nouveau parti politique qui revendiquera le projet politique et le programme du FIS dissous. Rien que ça ! Pour peu que les formes soient sauvegardées, la légalité respectée et le tour sera joué. C'est peut-être le cas de le dire, du moins si l'on cède à cette tentation aussi fantaisiste que caricaturale chère aux seigneurs de guerre et qui réduit la république aux schémas réducteurs de l'oukase et du fait du prince. Mais à ce qu'on sache, l'Algérie, aujourd'hui, pour avoir durement éprouvé les contrecoups de “l'aventurisme”, s'est résolument engagée dans les standards qui fondent l'Etat de droit et consacrent l'autorité de l'Etat avec tout ce qu'ils supposent comme respect des lois de la république. Il en est ainsi de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale, adoptée par référendum le 29 septembre 2005. La page est tournée, mais les algériens n'ont pas oublié Si à travers cette charte, l'Algérie a décidé de tourner la page sur des évènements sanglants en allant jusqu'à offrir “l'impunité”, il n'en demeure pas moins qu'elle a pris soin de mettre des garde-fous pour faire l'économie “d'un statu quo anté”. Les dirigeants du FIS dissous, autant que ceux de sa branche armée, sont tout naturellement concernés par les mesures de clémence. Ceux d'entre eux qui vivent à l'étranger peuvent rentrer en Algérie en toute quiétude. Cependant, la charte, expression de la volonté populaire, leur interdit toute activité politique en raison de leur “instrumentalisation de la religion ayant conduit à la tragédie nationale”. À l'évidence, l'Etat a ainsi fermé le jeu de sorte à empêcher l'ex-FIS de se reconstituer même sous une autre appellation, ou encore ses leaders de se porter candidats à des postes électifs sur les listes d'autres partis légaux. Mais voilà que Madani Mezrag et ses pairs veulent faire table rase de certains acquis de la république arrachés au forceps, alors que le risque politique demeure présent et l'équilibre toujours précaire. Ceci à supposer un instant que l'Etat, dans un moment de faiblesse joue, au bon prince. Il y a lieu peut-être de se poser certaines questions sur les raisons qui ont encouragé les anciens du FIS et de sa branche armée à engager le processus devant aboutir à l'annonce officielle de la création d'un parti politique qui ressemble à s'y confondre avec le parti dissous. Il y a lieu aussi peut-être de s'interroger sur la portée de certaines déclarations d'une grande gravité des tenants de l'islamisme comme celle de l'ex-“émir” de l'AIS qui se dit prêt à se substituer à l'Etat si celui-ci était incapable de combattre les réfractaires et les opposants à la politique de la réconciliation nationale. Alors qu'au même moment, cette politique de réconciliation nationale lui dicte formellement de s'occuper de sa personne et laisser les choses sérieuses aux institutions de la république. Il ne faut pas se leurrer, personne n'est dupe de la liberté dont jouissent les responsables de la tragédie nationale. Les ex-dirigeants de l'ex-FIS ont été toujours en contact autant d'ailleurs qu'ils l'ont été avec les sympathisants de ce parti dissous… Bref, ils n'ont fait rien d'autre que de la politique, c'est la bonne opportunité qui leur fait encore défaut pour se remettre en selle. Madani, Benhadj et Benaïcha ont-ils respecté leurs engagements ? Abassi Madani, Ali Benhadj ou encore Madani Mezrag et Benaïcha avaient-ils réellement souscrit aux conditions particulières qu'ils devaient respecter pour pouvoir jouir de leur liberté ? On s'interroge après les récentes déclarations de l'ex-“émir” de l'AIS. Vraisemblablement, les anciens dirigeants de l'ex-FIS de l'instance à l'étranger et les dirigeants de l'ex-AIS ont fait une autre lecture de réconciliation nationale en la confinant dans un rôle de transition politique qui fait le lit au retour de ce parti. L'acharnement avec lequel ils défendent la réconciliation nationale parfois en étant “plus royalistes que le roi” reste quand même suspect pour des repentis qui ont toujours fait montrer leur insatisfaction à l'égard des mesures édictées par la charte, votée par le peuple algérien. Ils ont fait, en effet, une autre lecture, celle qui leur donne une large marge de manœuvre pour faire publiquement de la politique, en animant des meetings, en rendant publics des communiqués. Même la télévision nationale y avait mis du sien. On se souvient, par exemple, d'une lettre de soutien à la trêve signée par quatorze membres fondateurs du FIS comme étant l'émanation du madjliss echoura. Ceci pour dire que si officiellement le FIS n'existe pas, il aura dans les faits quand même survécu à sa dissolution en mars 1992. Interdits en principe de toute activité politique, Madani Mezrag et quatre de ses anciens lieutenants, Mustapha Kertali, Ahmed Benaïcha, Lyes Turki et Ali Kamouche, n'avaient-ils pas publiquement affiché leur ferme intention d'être candidats aux élections législatives du 17 mai ? Il est vrai qu'il était et reste toujours pour eux illusoire de prétendre à une telle éventualité, mais demeure toujours en toile de fond cette volonté non moins affichée d'un retour aux affaires. Et la dernière sortie de jeudi dernier de Madani Mezrag relève, certes, toujours de l'illusion, mais constitue pour autant un autre jalon de la politique des petits pas. Celle qui a amené l'ex-chef de l'AIS à soutenir la politique de réconciliation nationale, à participer aux meetings électoraux de Abdelaziz Bouteflika et même à être reçu en tête à tête par le chef du gouvernement et patron du FLN. Cette même politique des petits pas à travers laquelle Madani Mezrag anime des conférences de presse dont des extraits sont transmis par la télévision nationale. De là à annoncer la constitution d'un parti politique, il n'y a pas un si grand chemin à faire. Zahir Benmostepha