Comme un seul homme, si l'on excepte le RND (officiel), la classe politique, les organisations et le mouvement associatif ont dénoncé la suspension, qualifiée d'arbitraire et de liberticide, dont sont victimes six des plus importants titres de la presse nationale. Hier, mercredi, alors que les réactions d'indignation continuaient de nous parvenir, l'occasion nous a été donnée de faire le point avec les représentants de la classe politique et du mouvement associatif. Plus que jamais, nos interlocuteurs, qui ne pensaient jamais que les choses iraient aussi loin, jusqu'à friser l'absurde, déclarent que toute l'Algérie est indignée par un pareil comportement. Les récentes mesures de suspension, prises, sur ordre du Chef de gouvernement, Ahmed Ouyahia, à l'encontre de six titres de la presse indépendantes, dont L'Expression, continuent de susciter les réactions de la classe politique et de membres de la société civile. Pour la Ligue algérienne pour la défense des droits de l'Homme (Laddh), présidée par Me Ali Yahia Abdenour, cette décision «arbitraire» est, en réalité, une mesure politique destinée à faire taire «ceux qui révèlent au grand jour les frasques des dignitaires du pouvoir». «Le Président de la République, qui a exprimé à maintes reprises, son mépris, son hostilité et son aversion, pour la presse privée, qui le lui rend bien, a manifesté sa volonté malsaine de la mettre au pas, pour avoir mis à nu des pratiques maffieuses dignes des républiques bananières». Le président de la Laddh tient, ensuite, à alerter l'opinion publique «sur les scandales des affaires scabreuses qui mettent en cause les plus hautes sphères de l'Etat ainsi que des personnalités du pouvoir et de son entourage». Il considère que ce coup de force contre la presse, «à quelques encablures de l'élection présidentielle, vise à occulter une campagne électorale illégale, parce qu'elle se fait au nom de l'action publique avec l'argent public». Pour M.Djahid Younsi, porte-parole du Mouvement El Islah, «les manoeuvres politiciennes prennent, de plus en plus, d'ampleur et ce, au fur et à mesure que l'on se rapproche des prochaines échéances électorales». «Le but évident est, dit-il, de faire pression sur les médias, afin de les soumettre à la volonté du pouvoir en place. Pour cela divers moyens sont utilisés, y compris la mesure de suspension qui n'est pas un procédé nouveau en soi, de la part d'un pouvoir qui est loin d'être démocratique». Le représentant d'El Islah se déclare, par ailleurs, en faveur d'une solution médiane, qui puisse alléger les dettes des publications suspendues, pour leur permettre de reparaître, aussitôt que possible. La Commission nationale consultative pour la promotion et la protection des droitS de l'Homme, à travers la voix de son président, M.Ksentini Farouk, rappelle qu'il ne saurait exister de démocratie et d'état de droit sans liberté totale de la presse. Elle estime, néanmoins, que le respect dû au président de la République, dans l'exercice de ses fonctions et celui dû à la presse dans le libre exercice de sa mission, sont deux impératifs essentiels au fonctionnement de toute démocratie moderne. «Lorsque, ajoute M.Ksentini, pour des motifs qu'elle considère, à tort ou à raison, légitimes, la presse entreprend de s'attaquer à lui par le biais des affaires et de la diabolisation des personnalités qui l'entourent, la tentation du pouvoir à répliquer à ce travail de déstabilisation et de discrédit, dont il fait l'objet devient, de ce fait, aussi prévisible qu'inéluctable». La section algérienne de l'Union internationale des journalistes francophones, souligne que l'argument commercial pour justifier la suspension des quotidiens Le Matin, Liberté, L'Expression, El Khabar, Le Soir d'Algérie et Er Raï, est faux, compte tenu du fait que ces journaux figurent parmi les plus vendus et les plus solvables dans le paysage médiatique. La section relève que certains des journaux cités avaient, même, proposé de prêter de l'argent aux imprimerie, afin qu'elles fassent l'acquisition de papier et indique que le quotidien L'Expression, s'est acquitté de la totalité de ses dettes au niveau de la société d'impression d'Alger, dont le directeur s'est engagé, par écrit, à imprimer le journal. Le Mouvement culturel berbère, tendance Ould Ali El Hadi, tient à relever que les mesures de suspensions intervenues contre des organes de la presse écrite, interviennent à un moment ou la population est en attente de l'ouverture d'un dialogue «réel et responsable», destiné à mettre en oeuvre la plate-forme d'El-Kseur «et depuis que l'Etat a pris l'engagement de prendre en charge les incidences causés aux citoyens». M.Ould Ali estime que la décision prise, à ce moment précis, à l'encontre de la presse, est un paradoxe «si l'on considère que le pouvoir maffieux et assassin, à travers sa décision de faire stopper l'édition de six publications, prend la responsabilité d'hypothéquer la solution d'une crise qui a perdurée 29 mois durant». «Nous revendiquons, dit-il, la réapparition immédiate des quotidiens touchés par les mesures de suspension, afin de pouvoir continuer le processus de règlement de la crise. Nous restons fermes, résolus et persévérants; le processus de sortie de crise restera gelé, aussi longtemps que n'auront pas été levées les mesures d'interdiction interdisant à ces journaux de paraître». M.Mokrane Aït Larbi, membre du Mouvement des ârchs, pour la wilaya de Tizi Ouzou, estime que les mesures de suspension qui frappent, une fois de plus, la presse, résultent des affrontements «entre deux clans de l'ex-parti unique» qui visent tous deux le «fauteuil d'El Mouradia», «une crise qui risque de conduire le pays vers un climat de violence et d'incertitudes». Réaffirmant sa solidarité avec les journalistes, M. Aït Larbi se demande, par ailleurs, pourquoi, à la suite de l'application de ces mesures, l'APN n'a pas jugé utile de prendre ses responsabilités en votant une motion de censure à l'encontre du gouvernement Ouyahia et rendre ces dernières caduques.