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Résultat d'une bataille de parts de marché couplée à une guerre de prix
Effondrement des prix du pétrole
Publié dans Liberté le 28 - 01 - 2015

Les prix du baril tombent sous la barre symbolique des 50 dollars, du jamais vu depuis le lendemain de la crise de 2008, en quelque sorte, un séisme pétrolier, et ce, après trois ans et demi de stabilité des prix autour de 110 dollars.
La dégringolade des prix du Brent et du WTI qui valaient respectivement 49,67$ et 47,96$ lors de la clôture de la journée du 9 janvier 2015, continue à être ressentie comme étant un véritable choc pour certains pays producteurs et les répercussions peuvent être désastreuses car ne disposant pas d'une économie diversifiée mais une économie presque totalement connectée aux prix du baril.
Plusieurs milliards de dollars en jeu
Il faut dire que personne ne l'avait vue venir, en effet, à partir du mois de juin où le pic avait atteint les 115 dollars, la chute du prix du baril s'est accélérée, au fil des mois, avec près de 56% de dégringolade en six mois, sachant que la baisse d'un dollar du prix du baril occasionne une perte d'environ 700 millions de dollars et impacte le résultat opérationnel des compagnies pétrolières d'environ 275 millions de dollars selon BP (British Petroleum), au rythme actuel, ce sont des pertes de plusieurs milliards de dollars qui sont en jeu.
Il est important de savoir que le marché mondial représente près de 90 millions de barils par jour (mbj) et que la part du cartel pétrolier de l'OPEP est de 30 mbj, soit le tiers de la production totale. La production saoudienne avoisine les 10 mbj, elle représente le tiers de la production OPEP et avec des réserves estimées à 270 milliards de barils, elle totalise près d'un cinquième du total des réserves mondiale, ceci pour montrer le poids que représente l'Arabie saoudite, considérée comme étant le chef de file du cartel dans l'échiquier pétrolier mondial. Pour rappel, le cartel pétrolier de l'OPEP, fondé en 1960, compte aujourd'hui douze pays membres, on y trouve sept pays arabes parmi lesquels deux du Maghreb, à savoir l'Algérie et la Libye, quatre monarchies du Golfe, à savoir l'Arabie saoudite, les Emirats arabes unis, le Koweït, le Qatar, un pays arabe du Moyen-Orient, à savoir l'Irak, un pays non-arabe du Moyen-Orient, en l'occurrence l'Iran, deux pays d'Afrique noire, à savoir l'Angola et le Nigeria et enfin deux pays d'Amérique latine, à savoir l'Equateur et le Venezuela.
Les Etats-Unis au sommet de la hiérarchie
Il est important de préciser qu'au mois d'avril 2014, la production des Etats-Unis a atteint les 11,58 mbj, dépassant l'Arabie saoudite avec 11,31 mbj (selon l'agence internationale de l'énergie) et les Etats-Unis ont déjà commencé à réduire leur importation en pétrole saoudien, passant de 1,25 mbj à 900.000 mbj, soit une baisse de 28% et pourront réaliser leur indépendance énergétique en devenant un exportateur net d'hydrocarbures à l'horizon 2030, Ce tournant qui apparaissait il y a quelques années encore comme impossible, s'est finalement bel et bien réalisé. Cette nouvelle donne américaine va entraîner une réorientation quasi totale du pétrole du Golfe vers l'Asie, qui deviendrait destinataire de 90% des exportations du Moyen-Orient d'ici 2035.
Une bataille de parts de marché couplée à une guerre de prix
- les raisons principales de cette chute sont d'ordre économique mais surtout géostratégique, elles sont résumées en ce qui suit :
- le ralentissement économique mondial, notamment dans les pays gros consommateurs, à savoir la Chine, l'Inde ainsi que le Brésil ;
- l'abondance du marché pétrolier, notamment par l'augmentation de la production du pétrole de schiste aux Etats-Unis, qui est passée de 5,5 mbj en 2008 à 9,3 mbj en décembre 2014 avec des perspectives à 9,3 mbj en 2015, poussant vers une surcapacité estimée à ce jour entre 1,5 mbj et 2 mbj, une vraie déstabilisation du marché ;
- la hausse du dollar, poussant vers une baisse des prix du brut ;
- la volonté de l'Arabie Saoudite de vouloir mettre en difficulté et tester la résistance les producteurs du pétrole de schiste dont les coûts de production impliquent un prix de baril entre 60 et 70 dollars ;
- la volonté de l'Arabie saoudite de vouloir affaiblir d'avantage l'Iran, ne lui laissant aucune chance de jouer un rôle majeur (ou de stabilisateur) au sein de l'OPEP ;
- le refus de l'Arabie saoudite de baisser l'offre de pétrole sur le marché mondial, de peur de perdre des parts de marché.
Ne voulant pas perdre ses parts de marché, l'Arabie Saoudite veut affaiblir d'avantage l'Iran en ne souhaitant pas la levée éventuelle des sanctions, où l'Iran peut récupérer jusqu'à 100 milliards de dollars si les sanctions venaient à tomber (actuellement la production de l'Iran est de 2,7 mbj et peut aller jusqu'à 6/7 mbj) et réduire davantage les capacités budgétaires de l'Iran où le pétrole représente près de 60% des recettes budgétaires et jusqu'à 80% des recettes d'exportation, sachant que l'Iran a besoin d'un baril entre 130 et 140 dollars.
Quant à la Russie, elle considère que cette chute des prix est un complot pour affaiblir durablement sa monnaie à cause de son soutien au régime syrien ; les pertes seront énormes, un chiffre de 100 milliards de dollars a été avancé par les russes, soit près de trois fois les pertes déjà induites par les sanctions occidentales mises en place pour le rôle de la Russie dans la crise ukrainienne (32 milliards de dollars) ; ces pertes pourront s'alourdir davantage d'autant plus que les recettes budgétaires de la Russie dépendent à plus de 50% des hydrocarbures et représentent près de 70% des recettes à l'exportation, et que sur le plan budgétaire, la Russie a besoin d'un baril entre 100 et 110 dollars. De ce qui précède, il ressort clairement que l'Arabie Saoudite veut demeurer comme étant le producteur d'appoint (swing producer), à la hausse comme à la baisse, et ce, dans le but de continuer à peser fortement, du fait de sa capacité de production (10 mbj) et du niveau de ses réserves (270 milliards de barils), sur l'offre mondiale ; en clair, une bataille de parts de marché couplée à une guerre des prix. ( ...)
Quel impact sur l'Algérie ?
L'Algérie, qui dispose d'une manne financière importante, près de 185 milliards de dollars (à fin septembre 2014), exporte des quantités de plus en plus réduites en pétrole (mais aussi en gaz), les exportations en volume ont enregistré une baisse de 28% entre 2006 et 2013.
Dans l'état actuel du fonctionnement de notre économie, où 98% des recettes extérieures de l'Algérie proviennent des hydrocarbures, il est évident que toute baisse des exportations mène à une diminution des recettes.
Jusque-là, la hausse des prix du Sahara Brent a fortement compensé la baisse des volumes commercialisés à l'exportation, qui sont passés de 131 MTEP en 2005 à 103 en 2013, non seulement du fait d'une baisse de production mais aussi par rapport à la part réservée au marché national qui devient de plus en plus importante (+15% et pouvant doubler au bout de 10 ans). Aussi, la production à un rythme rapide des gaz et pétrole non conventionnels aux Etats-Unis explique en grande partie le recul des exportations algériennes vers le marché américain de près de 40%.
Alors que la baisse continue aussi bien dans les volumes que dans les prix du Sahara Brent, on note une augmentation dans les budgets de fonctionnement, qui sont en grande partie financés par la fiscalité pétrolière (68%) alors qu'ils devraient être financés par la fiscalité ordinaire. Ainsi, le fonds de régulation, au lieu, de financer les investissements et gérer les excédents budgétaires liés aux exportations d'hydrocarbures, il est utilisé pour financer les déficits budgétaires, sachant que pour maintenir l'équilibre du budget, l'Algérie a besoin d'un baril à 110$.
La loi de finances pour 2015 prévoit des recettes budgétaires de 58 milliards de dollars (ce budget étant limité car calculé sur la base d'un prix de référence qui est de 37$ le baril), des dépenses budgétaires de 110 milliards de dollars dont 60% destinés uniquement au budget de fonctionnement (+15,7% par rapport à la LFC 2014), ce qui conduit à un déficit en 2015 de 52 milliards de dollars, soit 22% du PIB.
Cette nouvelle donne doit nous interpeller d'avantage (tous sont concernés : le peuple, les décideurs et les acteurs économiques) pour sortir d'une politique économique basée essentiellement sur les hydrocarbures ; ceci passe par :
— avoir des prévisions fiables et surtout une vision à moyen et long terme ;
— la création d'un centre névralgique de compétences qui regroupera les experts de tous les domaines à l'instar de ce qui a été appliqué dans les pays émergents ;
— diversifier l'économie nationale en vue de ne plus dépendre du marché pétrolier qui sera toujours un marché turbulent, spéculatif et donc incertain ; -La mise en place d'une politique d'investissement transparente et objective en favorisant la production locale, et ce, en chassant du terrain les obstacles bureaucratiques ;
- profiter de cette période de crise en procédant à l'achat d'actifs industriels permettant de réduire les importations qui vont atteindre 65 milliards de dollars en 2015 ;
- instaurer une nouvelle politique de cession du gaz où actuellement 97% de l'électricité est produite à partir du gaz naturel, ainsi, il faut concrétiser, au mieux, le plan de développement des énergies renouvelables, à l'exemple de la centrale électrique hybride (combinaison de gaz et de solaire) déjà fonctionnelle à Hassi R'mel, en clair, revoir le modèle de consommation ;
- profiter de cette crise en procédant à l'augmentation des réserves, à l'international, en matière de pétrole, du fait que certaines entreprises du même secteur que le Groupe Sonatrach, seront certainement en difficulté.
- la relance du Conseil national de l'Energie (CNE), un organe de concertation par excellence qui devra, d'une part, élargir le débat à tous les ministères de souveraineté et aux entreprises du secteur, notamment le Groupe Sonatrach, et, d'autre part, imposer une certaine transparence, en responsabilisant les différents membres, siégeant au niveau du CNE ;
- la création d'un fonds souverain car orienter presque la totalité des réserves dans le marché obligataire n'est certainement pas la bonne solution, mais pour cela, il faut, encore une fois, miser sur les compétences et rien que les compétences pour sa gestion ;
- enfin, produire selon les besoins internes et en fonction des besoins d'investissements où le rythme de production doit être suivi par un rythme équivalent de découvertes.
Conclusion
Il n'y a pas de raison, à court terme, pour que les prix du pétrole ne tombent pas plus bas car la plupart de l'offre de pétrole actuelle reste profitable à court terme d'autant plus que les projets sont déjà bouclés et les investissements déjà amortis. Sur le moyen et long terme, la baisse des prix du pétrole devrait jouer en faveur de l'Arabie saoudite qui est en train de tout faire pour faire baisser la production des schistes aux Etats-Unis et empêcher l'Iran de s'affirmer en tant que producteur stabilisateur au sein de l'OPEP.
Quant à l'Algérie, c'est le moment de procéder aux changements attendus et préconisés par tant de spécialistes en passant d'une politique économique basée essentiellement sur les hydrocarbures à une politique économique diversifiée en gérant avec intelligence ses réserves de change.
A. H.
(*) Consultant


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