Pourquoi ? Mais pourquoi ? Maria l'avait presque crié. Elle tremblait de colère devant tant d'injustice. était-ce là la récompense de Yahia, l'homme qu'elle aimait depuis dix ans, qu'elle attendait, qu'elle avait attendu, croyant qu'il méritait tous les sacrifices ? - Mais pourquoi ? s'écria-t-elle à nouveau mais d'une voix presque implorante. Qu'est-ce qui me manque ? Pourquoi ne puis-je pas être ta femme ? Qu'est-ce qui te répugne en moi ? Yahia passa une main tremblante dans ses cheveux blonds. Ses yeux bleus se posèrent sur ceux de Maria, noirs comme la nuit, puis passèrent sur son corps mince pareil à celui d'une adolescente. Pourtant, elle avait trente-trois ans. Ce n'était plus une adolescente mais une femme. Et à ses yeux, elle exigeait trop de lui. -Toi et moi, c'est les deux extrêmes ! Je veux vivre au jour le jour ! Intensément ! Sans avoir d'engagement ! Sans avoir de compte à rendre en rentrant le soir ! Tu vois, le mariage est impossible entre nous ! -Mais pourquoi m'avoir donné l'espoir ? Pourquoi m'avoir fait attendre ? Maria sentit des larmes lui mouiller les yeux. Mais elles ne coulèrent pas, comme si elles s'étaient glacées devant le regard méprisant de Yahia. -Tu ne pouvais pas comprendre toute seule ? lui reprocha-t-il. Une autre aurait compris bien avant que je ne le lui dise de vive voix ! A plusieurs reprises, je t'ai dit que tu ne tirerais rien de moi ! Ce n'était pas suffisant ! -Je croyais que c'était du côté matériel ! rétorqua Maria. Mais alors, pourquoi revenais-tu après toutes les ruptures qu'il y a eu ? C'était toi qui insistais pour qu'on reprenne ! lui rappela-t-elle. Tu me faisais la cour au point de me faire tourner la tête, de me faire oublier les tortures par lesquelles tu m'as fait passer ! Tout simplement parce que je t'aimais ! Comme c'est encore le cas aujourd'hui... Mais qu'ai-je fait pour mériter un tel châtiment ! Aimer un homme qui ne pense qu'au plaisir, à l'instant présent ! Qui refuse de songer à l'avenir ! -Je t'avais avertie Maria ! Inutile de chercher à me troubler la conscience, tu ne réussiras pas ! Si je te dis aujourd'hui que cette rupture est pour de bon, c'est pour t'éviter de souffrir ! Elle sursauta comme si elle venait d'être frappée. La voix étranglée par la colère, elle répète : - M'éviter de souffrir ? Tu aurais pu le faire il y a dix ans ! -Tu ne voulais pas m'écouter ! cria-t-il, serrant les poings. Chaque fois que je me séparais de toi, tu tombais malade ! ça me faisait de la peine ! -Et maintenant, qu'est-ce que tu ressens en sachant que je risque de mourir parce que nous nous séparons pour de bon ? - Tu peux te mettre en tête que je ne mourrai pas avec toi ! Adieu ! Sur cet adieu qui arrache un cri puis des larmes à Maria, il part sans se tourner une seule fois. Elle pleura longtemps, toujours assise au même endroit, sur ce banc en bois, sous cet arbre aux basses branches qui les avait dissimulés des regards indiscrets et qui les avait protégés des rayons brûlants du soleil. C'était la mi-août, et Maria avait froid et se sentait comme abandonnée. Ne venait-elle pas d'être plaquée ? Ce qui la torturait, c'était que, depuis dix ans, elle avait vécu avec des illusions. Elle savait aujourd'hui qu'elle avait eu tort d'attendre. Cet homme ne voulait rien donner de lui-même, et bien qu'il l'ait plaquée, elle aurait voulu avoir quelque chose de lui ! Cela l'aurait réconfortée dans sa solitude retrouvée, imposée... (À suivre) A. K