La conjoncture actuelle met à nouveau à nu nos vulnérabilités. Elle nous impose d'agir et de nous ajuster pour atténuer les menaces qui en découlent sur notre développement économique et social. Depuis plusieurs mois, on observe un violent ajustement à la baisse du prix du pétrole (divisé par 2 en six mois). De nombreux arguments de nature économique et géopolitique ont été avancés pour expliquer ce phénomène. On a pu relever, au plan économique, un ralentissement de la demande associé à un ralentissement de la croissance chinoise, une hausse de l'offre non conventionnelle aux USA et les progrès observés dans le domaine de l'offshore profond. Au plan géopolitique, certains ont avancé la volonté d'affaiblir la Russie et l'Iran ou l'existence d'une opposition larvée entre l'Arabie Saoudite et les USA. Deux constats s'imposent dès à présent. Tout d'abord, les facteurs sous-jacents à la baisse du prix du pétrole sont largement en dehors du contrôle de notre pays. Nous n'avons aucune emprise sur les prix internationaux. Ensuite, la conjoncture actuelle est révélatrice et met à nouveau en exergue nos vulnérabilités et nous impose d'agir et de nous ajuster pour atténuer les menaces qui en découlent sur notre développement économique et social. Il convient de rappeler que les hydrocarbures représentent un tiers de notre PIB, près des 2/3 de nos recettes budgétaires et 98% de nos exportations. Mais cette conjoncture difficile est aussi une excellente opportunité "d'introspection" et de "prise de virage audacieux", pour reprendre l'expression de Nabni, pour construire une nouvelle vision économique et modifier nos modes de fonctionnement et de régulation. Soyons clairs, la baisse du prix du pétrole n'est pas la cause de la crise mais en est le révélateur. Refuser cette évidence c'est aussi refuser la remise en cause d'un modèle économique obsolète basé sur la rente et la dépense budgétaire. Une note d'optimisme néanmoins: comme cela a été relevé par beaucoup d'experts notamment ceux du FMI, nos marges de manœuvre extérieures et budgétaires sont plus importantes qu'en 1986. Nous disposions de réserves de change conséquentes de l'ordre de 180 milliards de dollars à la fin de 2014. Ces réserves sont gérées avec prudence pas les experts de la Banque d'Algérie. Notre dette extérieure est faible à environ 3 milliards de dollars avec un taux de service inférieur à 1% de nos exportations. Et notre dette publique est actuellement relativement faible à environ 8% de notre PIB. Mais ces marges de manœuvre bien réelles, ne doivent surtout pas être avancées pour justifier un statu quo et ne rien faire. À la manière du professeur Lamiri, nous nous devons de constater que "la fenêtre de tir" est étroite. Comme premier message, j'ai envie de dire qu' "il ne faut pas s'alarmer, ne pas s'endormir, mais bouger dans la bonne direction avec ambition et courage". Quels sont donc les enjeux conjoncturels et structurels auxquels nous faisons face ? Un tel exercice d'évaluation est périlleux car il est difficile d'anticiper la durée de la conjoncture actuelle en ce qui concerne les prix du pétrole. Les enjeux conjoncturels L'évaluation des enjeux de nature conjoncturelle passe par la construction d'un scénario prospectif dont l'horizon temporel peut être calé sur la durée du plan quinquennal 2015-2019 de développement économique et social et en faisant ensuite jouer le curseur des prix du baril de pétrole entre 60 et 70 dollars US. Les résultats et les questionnements qui en découlent sont analysés à un double niveau, celui de la balance des paiements et vis-à-vis des finances publiques. Avec un baril entre 60 et 70 dollars sur toute la période du plan, le niveau des réserves de change reste appréciable en fin de période avec des montants situés entre 60 et 90 milliards de dollars. Ce qui procure une certaine visibilité pour notre balance des paiements. Mais des recettes d'exportation d'hydrocarbures ce sont des prix multipliés par des quantités. Ainsi, une question résiduelle reste en suspens : quelles seront les quantités d'hydrocarbures exportées au cours des cinq années à venir ? Cette question est importante car le repli de la production d'hydrocarbures a été une réalité de ces dernières années. La Banque d'Algérie évalue à environ 25 % la baisse de la valeur ajoutée dégagée par le secteur sur la période 2006-2013. Les chiffres pour 2014 sont annoncés en légère hausse. Poser la question des montants qui seront exportés revient à s'interroger sur quatre familles de facteurs : la capacité à respecter les délais de mise en service des installations de production après les découvertes, le respect des délais de mise en service des installations nécessaires au transport des hydrocarbures produits, le taux d'injection et de réinjection mis en œuvre et surtout la consommation locale. Pour ce dernier point, il convient de rappeler que notre pays consomme localement environ 50% du pétrole produit et environ 35 à 40 milliards des 135 milliards de M3 de gaz produits. Il revient aux spécialistes de s'exprimer sur cette question sensible qui mérite débat. Avant d'analyser l'évolution future de nos finances publiques, il convient de rappeler la situation au terme de l'année 2014. Pour l'exercice 2014, le prix du baril moyen exporté a été d'environ 100 dollars le baril (contre 109 dollars en 2013). Avec un tel niveau de prix, le déficit du Trésor a été d'environ 3000 milliards de DZD soit environ 17% de notre PIB. Le prix d'équilibre de notre budget, comme le soutient le FMI, était d'environ 120 dollars le baril. À noter que le déficit du Trésor a été probablement financé par prélèvements sur le Fonds de régulation des recettes (FRR) puisque le niveau de notre dette publique est resté faible à environ 8% de notre PIB. Les estimations les plus courantes pour le montant des disponibilités au sein du FRR à la fin 2014 sont de 4500 milliards de DZD. Que se passe-t-il pour nos finances publiques avec un baril compris entre 60 et 70 dollars le baril ? Deux évidences apparaissent clairement : l'assèchement du Fonds de régulation des recettes est effectif au bout de 2 années et une dette publique interne qui croît rapidement pour atteindre entre 50 et 60% de notre PIB après avoir été multipliée par 9 ou 10 sur la période 2015-2019. Ceci induit deux questions importantes : celle de la capacité d'absorption du marché local face à l'accroissement attendu de la dette publique, et ce dans le contexte de baisse attendue de la liquidité bancaire. Il nous faudra trouver entre 23 et 28 milliards de dollars en équivalent dinars sur ce marché local pour absorber cette dette publique. Par ailleurs se pose aussi celle de la complexité du pilotage monétaire du pays avec des variables comme l'inflation, la hausse des taux d'intérêt et le risque d'éviction de l'investissement privé par le Trésor public seront difficiles à optimiser. Pour conclure sur les enjeux conjoncturels, la situation apparaît comme plus tendue pour les finances publiques que pour la balance des paiements. Nos finances publiques actuelles ne sont clairement pas viables. Cela plaide pour l'ouverture urgente de la réflexion sur trois sujets importants. La rationalisation de la dépense publique Les dépenses courantes de l'Etat ont doublé entre 2008 et 2014. N'est-ce pas là un indice de gaspillage ? Par ailleurs, qui ne s'interroge pas sur l'efficience de nos investissements publics et sur leurs processus de maturation, d'exécution et de contrôle ? Les subventions et transferts sociaux La politique actuelle en la matière consomme environ 30% du PIB et apparaît comme coûteuse, mal ciblée et injuste. En outre, elle est clairement génératrice d'une forte demande d'importation du fait de l'insuffisance de l'offre locale. Elle induit aussi une consommation excessive d'énergie, notamment pour les carburants et l'électricité. Elle est aussi génératrice de "superprofits" pour certains importateurs qui ne répercutent pas toujours sur les consommateurs les baisses de prix observées sur le marché international. Il est souhaitable de revenir à la subvention des ménages plutôt qu'à celles des produits. Le développement du marché des capitaux en vue de la modernisation de la gestion et d'une meilleure absorption de notre dette publique, tout en élargissant le champ des possibilités de financement pour les entreprises. Les enjeux structurels Personne ne conteste notre destination finale : sortir de l'économie de rente et construire une économie de production diversifiée. Mais comment y aller ? Comment engager les "longs virages" pour la transformation en profondeur de notre économie dont parle Nabni ? Les quatre pistes de chantiers qui suivent ne se veulent pas exhaustives mais apparaissent comme fondamentales. L'enjeu de gouvernance s'articule autour de deux volets importants. Tout d'abord, la reconstruction d'une capacité d'analyse prospective. Ensuite le recentrage de l'appareil administratif pour développer une nouvelle philosophie du service public. Une administration recentrée sur les exigences du terrain et pour laquelle écoute, accompagnement, information et communication sont les maîtres mots. Le texte réglementaire n'est plus l'interdit mais trace des manières de faire, promeut les innovations et les initiatives. Ce recentrage implique aussi l'allégement et la simplification des procédures et une intervention rapide pour faciliter la création d'entreprise, la promotion de l'innovation technologique et méthodologique et la formation innovante. L'enjeu de la régulation Actuellement l'acte de commercer est clairement plus attractif que celui d'investir et de produire. Il est urgent d'"inverser la vapeur" et de rendre l'acte d'investir et de produire le plus attractif. Cela suppose des mesures audacieuses dans les domaines fiscaux et douaniers, une profonde réorientation de notre système d'incitations et une amélioration sensible du climat des affaires. L'enjeu des ressources humaines S'articulant autour de la définition d'un plan national de l'emploi au-delà des saupoudrages actuellement observés et la mise en œuvre d'une politique consciente et organisée de promotion et d'amélioration de la compétence professionnelle. L'enjeu de l'économie informelle Le marché informel représente un volume conséquent de la distribution et des échanges, et draine, canalise dans ses circuits un volume très important des flux monétaires. Il représente aussi une énorme contrainte à l'efficacité de toute politique économique. Comment l'intégrer sans rupture dans les équilibres sociaux ? Ce long papier nous a conduits à la frontière du politique. Ce n'est peut-être pas le moment opportun d'y pénétrer, mais sachons qu'il est inévitable d'ouvrir ce champ et de s'y ouvrir. Comme me disait récemment un ami proche "l'avenir ne peut pas être subi si les volontés s'expriment, si les choses sont dites". Alors, la question devient : "Que faire ? Que dire ?" R. S. Ancien directeur de la dette extérieure à la Banque d'Algérie, économiste