Résumé : Samir part travailler et Mordjana se retrouve seule avec sa belle-mère. Hasna avait déjà préparé le déjeuner, et sur son insistance à l'aider dans ses tâches ménagères, elle lui conseillera de nettoyer la cour et de faire les lits. La jeune femme se retire ensuite dans sa chambre pour penser à son mari. Elle ferme les yeux et se met à penser à lui. Le rêve risque de s'estomper... Elle pourrait se réveiller et revivre le cauchemar quotidien de son existence sans attraits. Elle sourit et serre un coussin contre son cœur. Elle aimait son mari... Pour la première fois de sa vie, elle découvre l'amour et le vit tel qu'elle le voyait dans les films à l'eau de rose... Qui aurait pu deviner quelques mois auparavant qu'elle allait vivre cette délicieuse expérience ? Un coup au grand portail de la maison la tire de ses songes. Le heurtoir de bronze retombe deux fois encore sur son socle. Elle se lève et court ouvrir pour se retrouver nez à nez avec son beau-père. Aïssa la dévisage comme s'il la voyait pour la première fois. Puis ses yeux se plissent, et il sourit : -C'est toi. C'est la nouvelle mariée ? Ah ! je me rappelle maintenant. Comment... comment tu t'appelles déjà ? -Mordjana. -Mordjana, joli prénom. Elle s'efface pour le laisser entrer, et il lui demande si Hasna n'était pas à la maison. -Elle ne tardera pas à rentrer, juge-t-elle opportun de répondre. Elle est allée acheter le pain et le lait. -Hum... comme à ses habitudes, le subterfuge est tout indiqué pour faire des causettes avec les femmes du quartier. Les mégères vont délier leur langue fourchue. Il soupire et la regarde d'un air si intense qu'elle en ressentit une gêne. -Tout le quartier parle de ton mariage avec Samir, tu dois t'en douter... Comme elle ne répondit pas, il poursuit : -Le sujet est à la une. Une bonne échappatoire pour oublier les anciennes matières, c'est tout frais, tout chaud. Il ricane, et Mordjana reçoit au visage son haleine chargée d'alcool. Elle recule de quelques pas : -Père Aïssa, tu veux que je te prépare un café ? Il s'arrête de ricaner et revint vers elle pour la fixer dans les yeux avant de brandir son index : -Aïssa ne prend pas de café... Aïssa n'aime ni le café ni le thé. Ce que j'aime, c'est ma chère bouteille rouge. Ah ! si tu savais à quel point j'aime cette bouteille. Heu... Ahmed aussi l'aime beaucoup. Il n'y a absolument rien sur cette terre qui occupe le plus mon esprit. Il s'approche un peu plus d'elle et chuchote : -Tu sais que c'est toi que je devais épouser... Mordjana recule davantage. Aïssa lui faisait maintenant peur, et elle jette des regards effarés dans tous les côtés afin de trouver un refuge au cas où ce dernier s'en prendrait à elle. Mais Aïssa continuait sur sa lancée : -La partie de poker s'éternisait, Ahmed avait perdu tout son argent, moi aussi. Nous avons alors misé sur toi... Je t'ai gagnée mais... mais Hasna m'aurait mangé tout cru si je t'avais épousée en secondes noces. (Il rit). Hasna m'aime encore. Il déglutit : -Oui... Elle m'aime, et elle est jalouse de toutes les femmes qui m'approchent, tu te rends compte ? Nous sommes mariés depuis bientôt quarante ans maintenant... Ah ! Hasna ! Comme elle était belle lorsque je l'ai épousée ! Elle n'avait pas cet air de sorcière. Je... je peux te l'assurer. Non... elle était belle, obéissante et toute docile, un ange, je dirais. Puis, tout a changé, les enfants sont arrivés. Et voilà, je me suis retrouvé plus proche de ma bouteille que de ma femme. Alors je fuis le foyer pour éviter les scènes de ménage. Mordjana se demandait si elle allait l'écouter encore longtemps. Mais que faisait donc sa belle-mère qui devrait être déjà rentrée ? Elle s'humecte les lèvres et propose : -Père Aïssa, pourquoi ne vas-tu pas t'allonger un peu dans ta chambre ? Dès que Yemma Hasna sera de retour, je lui dirais que tu es rentré... Il esquisse un sourire, et elle remarque que sa gencive supérieure était pratiquement édentée : -Tu veux te débarrasser de moi Mordjana déjà ? Je suis ton beau-père, je ne te connais pas encore assez ma petite. Laisse-moi le privilège de discuter un peu avec toi, avant l'arrivée de ma sorcière bien aimée. -Heu... je... ce n'est pas que... -Chut, chut, chut, pas un mot de plus. Ce vaurien de Samir a vraiment de la chance finalement... Je l'ai laissé t'épouser. Je t'ai perdue... et il t'a gagnée. Mais alors, il t'a gagnée ! Il s'était opposé farouchement à ce que je t'épouse, il prétendait défendre sa mère et la famille. Alors, pour parer à toute éventualité, il s'est proposé lui-même pour t'épouser. Heu... oui... c'est ainsi que ça s'est passé. Mordjana se mordit les lèvres. Etait-elle devenue une marionnette entre les mains de son père et de Aïssa ? L'avait-on proposée au plus offrant afin de gagner la partie ? Est-ce que Samir ne l'avait épousée que pour éviter le scandale qui pouvait découler de cette situation biscornue ? (À suivre) Y. H.