Béni Snous, malgré ses immenses ressources touristiques inexploitées, n'a commencé en fait à gouter aux fruits de l'indépendance que récemment. Béni Snous est un petit village niché à 1 500 m d'altitude entre la majestueuse vallée de la haute Tafna et les monts abrupts du Khémis, au fin fond de la wilaya de Tlemcen dans sa partie sud-ouest, à quelques encablures de la frontière algéro-marocaine. Sa population d'origine berbère, estimée aujourd'hui à quelque 20 000 habitants, conserve jalousement ses traditions, à l'image de son artisanat ancestral et surtout son fameux carnaval Ayred commémoré chaque année à l'occasion du nouvel an amazigh, qui symbolise la victoire en l'an 950 avant J.C. du roi amazigh Chachnak sur les troupes du pharaon Ramsès II. Au milieu du XXe siècle, la population de cette contrée de l'extrême ouest du pays vivait encore dans des grottes sombres, noircies par la fumée, loin de toute forme de civilisation, endurant toutes les souffrances du monde, et pendant la guerre de Libération, la région, qui abritait une importante base logistique de l'ALN, a subi harcèlements et agressions, payant ainsi un lourd tribut pour la cause nationale avec ses 1 000 martyrs. Béni Snous, malgré ses immenses ressources touristiques inexploitées, n'a commencé en fait à goûter aux fruits de l'indépendance que récemment avec les premières opérations de branchement électrique et de raccordement au gaz naturel, l'adduction en eau potable, la construction d'écoles et de centres de santé, l'ouverture de voies d'accès et surtout sa connexion à Internet à la faveur de l'installation, malgré la topographie difficile, des premières antennes relais de téléphonie mobile, avec couverture appréciable de la zone, qui a fait entrer de plain-pied cette région rurale dans l'environnement des technologies de l'information et de la communication. Le paysage qui s'étendait à perte de vue sans obstacle apparent est aujourd'hui remodelé avec les antennes érigées sur les collines pour gérer au mieux le flux d'appels et garantir l'acheminement des signaux et codage intelligent vers le réseau de troisième génération. Younes Belkenadel, étudiant de 23 ans, témoigne de ce qu'il considère comme étant une véritable révolution cet accès au Net : "Je me suis inscrit depuis deux ans à l'université Aboubakr-Belkaïd de Tlemcen dans la filière technologie. Je fais la navette tous les jours, soit plus de 90 km en aller-retour. Pour accéder à Internet, j'étais contraint, la première année, de fréquenter les cybercafés à Tlemcen après ma sortie de la fac, d'où mon arrivée de nuit à Béni Snous. Depuis une année, tout a changé. Avec mon smartphone, je peux à présent, de mon village perdu dans les montagnes, me connecter à la bibliothèque virtuelle universelle, suivre en temps réel des cours à distance, télécharger les vidéos de mon choix, surfer sur la Toile et dialoguer grâce à Skype avec des amis établis à Irbid en Jordanie, à Orpe le Grand en Belgique ou dans d'autres contrées du monde". Pour les jeunes de ce village recroquevillé sur lui-même, c'est en effet, grâce à cet outil, une véritable délivrance avec, désormais, la possibilité qui leur est offerte de surfer sur la Toile en toute liberté avec une simple tablette, surtout que les opérateurs de téléphonie mobile entrés dans la bataille de la concurrence voulue loyale par chacun d'eux, innovent chaque fois en proposant des tarifs préférentiels et des formules avantageuses qui arrangent justement ceux aux moyens financiers limités, comme Othmane Cherkaoui, 20 ans, qui a quitté précocement l'école après la mort de son père, pour aller travailler comme manutentionnaire au marché de gros des fruits et légumes. Il affirme que depuis qu'il a acquis une tablette d'occasion achetée au marché aux puces à Oran, il ne perd plus son temps inutilement dans les cafés, préférant préparer en candidat libre son examen de 9e année fondamentale. "Pour cela, dit-il, je me suis inscrit sur un site internet gratuit qui me propose des cours avec des rendus corrigés. Cela va me permettre de suivre à distance les cours qui figurent au programme scolaire afin de mettre toutes les chances de réussite de mon côté". Ainsi donc, grâce à Internet, les jeunes de Béni Snous, hier outragés et bannis du progrès, ont trouvé aujourd'hui, à la faveur des TIC, une formidable opportunité d'acquérir le savoir, de perfectionner leurs connaissances, de communiquer avec l'extérieur grâce notamment aux forums de discussion sur Facebook en plus d'exprimer leurs opinions sur les questions en rapport avec leurs préoccupations légitimes tout en alliant l'utile à l'agréable avec un certain attrait dévolu aux jeux en ligne. A. B.