On connaissait l'orfèvre travaillant le verre mais on découvre un autre talent à Hachemi Boumehdi : celui du mariage de plusieurs objets banals de notre vie quotidienne qui deviennent des objets d'art entre les mains de Hachemi et de ses filles. Liberté : M. Boumehdi, c'est la première fois depuis 2006 (année du décès du père de l'artiste) que vous montez une exposition aussi complète sous la thématique "Passions et héritage" ? Est-ce un hommage à votre père, qui vous a lancé comme lui l'a été par Pouillon ? Hachemi Boumehdi : Effectivement, depuis 2006, c'est la première exposition de cette envergure, car les conditions pour me lancer dans cette grande aventure étaient réunies. Il faut dire aussi que c'est à partir de mon nouvel atelier que j'ai pu réaliser tous ces produits. Elle est complète aussi par les matières avec lesquelles j'ai pu m'exprimer : le verre, la céramique ainsi que certains objets que j'ai pu détourner de leur fonction première. "Passions et héritage" : le mérite du choix de cette thématique revient à l'organisatrice Mme Sid Ahmed, choix que j'ai tout de suite adopté car il convient parfaitement à cette exposition. Bien entendu, le mot héritage est lié entièrement à mon père qui a donné sa vie à cet art jusqu'au dernier moment de sa vie. La céramique était tout pour lui. Le jour où il est tombé malade, il a travaillé le matin pour respecter une commande d'une dame qui lui a demandé de lui dessiner une bouteille avec des oiseaux. Oiseaux qu'il dessinait d'une façon magique. Après son réveil du coma qui a duré trois jours, la première question qui fusa de sa bouche fut : "Est-ce que la dame a eu sa commande ?". Dans votre exposition, vous insistez sur trois objets qui seraient autant de repères pour vous : la meïda, le métier à tisser et la machine à coudre de marque Singer. C'est une façon de rendre hommage à mon père et à cet héritage dont il était fier et qu'il m'a légué. J'ai aussi pensé à rendre hommage à l'architecte Fernand Pouillon, instigateur des ateliers Boumehdi. Ils ont travaillé ensemble juste après l'indépendance, l'un construisait et l'autre embellissait ses murs : un duo qui était tout le temps en symbiose. Mon père a été influencé par sa maman qui tissait des tapis dont d'ailleurs, il a même fait des répliques en tapis sur céramique. Les objets sur lesquels j'insiste sont les objets de mon enfance que j'ai essayé de revaloriser, et ma joie est de voir l'émotion que suscite la machine à coudre qui je pense était dans tous les foyers de l'époque. Le métier à tisser était accroché dans les plafonds des maisons de ma ville natale, et je vois encore ma grand-mère en train de touiller sa laine dans des grands fûts, mélangeant henné et écorce de grenade et rajoutant de la neige pour diluer ses couleurs. Ayant eu la chance d'avoir vécu au milieu de toutes ces couleurs, comment peut-on rester insensible ? Votre père s'était spécialisé dans la céramique, vous, vous avez apporté le travail sur verre et vos deux filles ont rajouté l'illumination. Il faut dire qu'elles font les beaux-arts. Mon père était spécialisé dans la céramique, moi j'ai rajouté le travail sur verre qui est une autre technique avec d'autres températures. C'est un peu la curiosité et le défi qui se mêlent pour vous inciter à cela. Mes filles après leur bac, je leur ai suggéré l'école des beaux-arts. Une a terminé et m'a rejoint et l'autre est en voie de l'être. Il faut dire qu'elles ont toujours vécu dans les couleurs et les formes. J'ai pensé à l'atelier comme à un jardin qu'on entretient ou qu'on abandonne : l'héritage, c'est cela. Une dernière question : pourquoi avoir choisi le Sofitel comme espace de l'exposition ? Le Sofitel pourquoi ? D'abord, c'est une invitation qui m'a été adressée. Il faut dire que c'est un espace d'encouragement de l'artisanat et je tiens à remercier les responsables pour leur hospitalité, leur sérieux et leur ouverture sur l'art.