Depuis le 1er mai dernier, l'Algérie participe à l'exposition universelle de Milan, en Italie, aux côtés de 148 autres pays, autour du thème : "Nourrir la planète : énergie pour la vie". Pendant les six mois que durera la manifestation, le pavillon algérien, à travers les quelque 1 200 mets et pâtisseries préparés sur place, ses communications publiques et les diverses activités prévues à cet effet, a pour mission de promouvoir l'image du pays, mais aussi de faire connaître et de valoriser le patrimoine culinaire et culturel, ainsi que le tourisme. L'exposition sera aussi une occasion pour l'Algérie de faire connaître sa position et ses suggestions sur la problématique de réduction de la famine dans le monde. Dans l'entretien qui suit, tous ces points sont commentés par Rachida Ziouche, assistante du commissaire général à l'exposition universelle de Milan, également auteure de Ma cuisine passion, 30 jours, 30 menus paru à Arak Editions. Pour cette dernière, l'Algérie est capable de faire de sa gastronomie "un atout majeur" de développement, en devenant une destination mondiale de choix. Liberté : Mme Ziouche, en quoi l'exposition universelle de Milan 2015 est-elle importante pour un pays comme l'Algérie ? Rachida Ziouche : D'abord, j'aimerais rappeler que l'exposition universelle de Milan 2015, par sa thématique "Nourrir la planète : énergie pour la vie", va contribuer à répondre aux objectifs du millénaire des Nations unies pour le développement en particulier : réduire de moitié la population souffrant de la faim, de deux tiers le taux de mortalité des enfants de moins de cinq ans, réduire de trois quarts le taux de mortalité maternelle, intégrer les principes de développement durable dans les politiques et programmes des pays et favoriser un partenariat mondial pour assurer la sécurité alimentaire tout en protégeant notre planète. L'événement repose sur deux piliers fondamentaux, à savoir : la durabilité et l'innovation. Son importance est capitale pour 149 pays participants dont l'Algérie. Notre pays va saisir cette occasion pour s'associer aux autres nations présentes à Milan, afin de confronter les expériences et faire part des progrès scientifiques et technologiques pour développer l'agriculture, assurer la sécurité et la qualité alimentaire de leur population, agir pour la biodiversité en trouvant un équilibre entre l'agroforesterie, l'élevage, la pêche, la pisciculture et les ressources naturelles. Ces pays, dont le nôtre, vont également faire connaître à près de 26 millions de visiteurs leurs actions et leurs projets en matière d'innovation dans la filière agroalimentaire, tout en démontrant comment conjuguer la science et la technologie aux connaissances traditionnelles et aux nouveaux besoins des consommateurs pour les processus de production et les produits alimentaires du futur. Pendant ces six mois, que va présenter la délégation algérienne sur le plan de la gastronomie et de la réflexion/sensibilisation pour coller au thème de la manifestation ? Le pavillon de l'Algérie, avec son restaurant gastronomique raffiné et authentique, occupe une place de choix dans le cluster bioméditerranéen, incontournable pour les 26 millions de visiteurs attendus à Milan. C'est le pivot de notre participation, car c'est en son sein que le pays développe sa thématique en cohérence avec celle de l'exposition universelle de Milan 2015 et y délivre ses messages. Nous comptons en faire un vecteur important pour promouvoir l'image de marque de l'Algérie et valoriser ses atouts économiques, culturels et touristiques, d'autant plus qu'elle possède un magnifique désert, mais aussi une des côtes les plus longues et les plus belles de la Méditerranée, ce creuset où se mêlent les plus vieilles civilisations. À votre avis, peut-on parler de "combat" de la gastronomie et de l'art culinaire ? Oui. L'art culinaire et la gastronomie sont les meilleurs interprètes de notre identité et de notre culture, de notre civilisation plusieurs fois millénaire. Notre alimentation méditerranéenne et saharienne a su et a pu résister aux contraintes de la vie quotidienne moderne, en témoignent le temps consacré aux repas et les pratiques sociales de convivialité, de solidarité et d'échange. À Milan, notre pavillon va impliquer les visiteurs dans diverses activités culinaires et gastronomiques, et événements, étroitement liés à la thématique. Je cite par exemple l'accueil du printemps, la touiza pour la cueillette des olives ou les moissons, meïdet Ramadhan pour expliquer l'aspect à la fois cultuel et culturel de notre société, l'hospitalité chez les Touareg, la célébration traditionnelle d'un mariage... Le point d'orgue sera notre journée nationale, le 8 août, où sera décliné tout notre savoir-faire. Le régime alimentaire méditerranéen est aussi varié que les pays qui le composent pour lesquels l'alimentation est un composant fondamental de l'identité et où la fraîcheur, l'équilibre et le plaisir de manger constituent des priorités. Votre ouvrage "Ma cuisine passion, 30 jours, 30 menus" vous a valu d'être remarquée par le commissariat général et d'être impliquée dans la préparation et l'encadrement de cette manifestation. En quoi consiste la mission qui vous est dévolue pendant l'exposition en Italie ? C'est une mission à la fois importante et enrichissante, car il s'agit de la confiance totale placée en moi par mon pays, à travers le commissaire général Mohamed Bensalem, pour faire connaître notre savoir-faire culinaire et hisser notre cuisine au rang de la gastronomie mondiale. Avec l'équipe professionnelle sélectionnée par l'Entreprise de gestion touristique du Centre (EGTC), qui s'est entièrement impliquée dans cet événement et que j'ai encadrée durant plusieurs jours, nous allons décliner, durant six mois à Milan, 1 200 pâtisseries et mets algériens de toutes nos régions et animer des journées et des soirées thématiques sur nos produits phares. De la frugale kesra de nos ancêtres au plus sophistiqué des mets de fête, nous allons offrir aux millions de visiteurs de l'exposition universelle l'opportunité d'une plongée dans un bain nourrissant pour le corps et pour l'esprit. Je précise que l'équipe que dirigent le chef Amine Messili et le sous-chef Mourad Beghoura est une équipe mixte, majoritairement jeune, passionnée, amoureuse de l'Algérie et de son patrimoine ancestral. Je ne vous cache pas que j'ai été subjuguée par ces jeunes. Qui d'autre que notre jeunesse pour préserver notre patrimoine et notre identité face aux menaces qui pèsent sur elle ? Qui d'autres que les jeunes pour faire connaître et transmettre cet héritage ? Qui d'autres que les jeunes pour le faire évoluer comme l'ont fait sous d'autres cieux des chefs espagnols, péruviens, japonais ? J'ai été jeune parmi les jeunes entièrement impliqués dans ce qu'il y avait de plus noble dans notre pays et je sais de quoi est capable notre jeunesse... première richesse de l'Algérie. Comment une universitaire et journaliste comme vous en est arrivée à se consacrer à la recherche dans le domaine gastronomique ? L'art de manger constitue-t-il vraiment un enjeu ? La mise au jour, la préservation et le renouvellement des produits, des savoir-faire et des terroirs algériens, véritable trame de notre identité, sont un vrai enjeu économique et culturel, mais aussi politique et de santé publique. J'y consacre, depuis quelques années, mes recherches. Je peux dire que l'art culinaire ou la cuisine est, pour chaque pays et sa population, le fruit des ressources naturelles locales, de la culture, des croyances religieuses, de l'évolution et du perfectionnement des techniques et aussi des échanges entre les peuples. Au fil des siècles, elle a dépassé son simple impératif biologique d'alimentation pour devenir un corpus de techniques plus ou moins pointues, un fait culturel, un élément important du patrimoine et de l'identité nationale ou familiale, un élément de systèmes de valeur. Sans oublier également qu'elle est devenue un sujet d'études pour les sciences sociales et surtout pour la sociologie. À l'heure où des universités de gastronomie sont créées dans des pays qui ont compris cet enjeu, comme le Pérou qui a su faire de sa gastronomie un atout majeur de développement et qui est devenu une destination mondiale de choix pour sa gastronomie, pourquoi ne pas réfléchir sérieusement à en créer une en Algérie ? Je terminerai par cette phrase d'une consœur italienne : "Demain, le gourmet sera le genre humain."