S'il devient urgent d'étudier le phénomène de la radicalisation, ses moteurs et ses lieux de production, il faut réfléchir aux pistes à explorer pour inventer un contre-discours en provenance des responsables religieux. Cela étant dit, il faut rappeler, comme le déclarait, le 28 juin dernier, l'ex-juge anti-terroriste Marc Trévidic que "ceux qui partent faire le jihad agissent à 90% pour des motifs personnels... Et à 10% seulement pour des convictions religieuses : l'islam radical... C'est pourquoi, placer la déradicalisation sous ce seul filtre ne pourra pas fonctionner"(13). Devant la gravité de la situation, il faut tout mettre sur la table, ne pas avoir de tabous, donner de vraies réponses et envisager des solutions éventuelles à apporter à ces dérives radicales. Développer une vraie politique éducative Cela passe tout d'abord par le développement d'une politique éducative. C'est-à-dire une politique du sens d'une véritable et pleine appartenance à la communauté nationale. On ne peut pas tenir le même discours pendant toute l'année à des jeunes citoyens musulmans en leur demandant sans cesse : "Quand est-ce que vous allez vous intégrer ? Quand est-ce que vous allez enfin être des nôtres ?" Et s'étonner quand un jeune dérape, montre qu'il est différent, adopte un comportement communautaire ou épouse les thèses les plus radicales. Il faut condamner avec force les attitudes de ces jeunes qui dérapent, mais il faut condamner en amont les discours qui produisent l'altérité, la différence et la stigmatisation. Revoir entièrement la formation des imams et des cadres musulmans Pour prévenir et combattre la radicalisation, il faut revoir entièrement la formation des imams et des cadres religieux(14). à l'issue de cette formation, l'imam doit avoir une profonde connaissance des textes(15) du contexte(16) et cela consiste à : - Traiter la complexité de la pensée islamique et les différents courants qui la composent. - Se familiariser avec l'éthique du désaccord respectueux et développer la conception islamique du "juste milieu". - Approfondir la relation entre le droit musulman (fiqh) et l'éthique et la perspective de leur application dans une société musulmane avec des minorités chrétiennes ou une société chrétienne avec des minorités musulmanes. - Etudier les différentes méthodologies de "l'ijtihad" et les finalités qui permettent de dresser les priorités basées sur l'intérêt général indéterminé. - Apprendre à faire la différence entre les conceptions anciennes de l'identité musulmane (essentiellement spirituelle) et les notions contemporaines de l'identité nationale basées sur le pluralisme (démocratie, citoyenneté, drapeau, hymne national...). - Revoir et approfondir le concept du "jihad" et ses interprétations erronées(17) et prendre conscience de l'impact du terrorisme sur les musulmans et les non-musulmans. Transmettre aux jeunes générations les valeurs morales et spirituelles Il s'agit aussi de repenser l'éducation islamique donnée aux enfants dans les mosquées et les institutions musulmanes, tant dans son contenu que dans sa forme, afin de la replacer dans le contexte de l'environnement national et international. Pour se construire humainement et spirituellement, les jeunes générations ont un besoin impérieux de modèles, de cadres et de projets. C'est pourquoi il faut : - Accompagner les jeunes dans la construction de leur identité et personnalité. - Développer les activités, loisirs et rencontres susceptibles d'apporter aux jeunes et aux enfants l'équilibre psychologique, spirituel, physique et intellectuel dont ils ont besoin. - Leur fournir une bonne compréhension de l'islam du "juste milieu" en leur assurant une éducation spirituelle appropriée, - Mettre la famille au centre des préoccupations des éducateurs. - Favoriser les rencontres des jeunes de diverses religions pour les initier à une démarche de dialogue visant à développer le vivre ensemble. La nécessité d'un vrai dialogue interreligieux Il faut enfin développer le dialogue interreligieux chez les musulmans. Cela consiste entre autres à : - Former les imams à la connaissance des autres religions et au respect de la diversité - Développer chez les jeunes les dimensions du dialogue, l'écoute, la compréhension de l'autre et l'acceptation des différences pour mieux vivre ensemble et construire des relations positives dans une société sécularisée. - Soutenir et accompagner les initiatives des musulmans ouverts et engagés dans le dialogue - Construire des projets entre les différentes religions Dans un monde en proie à une crise morale et économique sans précédent et un quotidien si difficile, si tourmenté et si insoutenable, le besoin d'un véritable partenariat entre les institutions religieuses se fait sentir. Ce partenariat s'impose comme une nécessité si les musulmans et les non-musulmans veulent promouvoir mondialement les valeurs humanistes qui leur sont fondamentales. A. G. (*) Recteur de la mosquée de Villeurbanne et universitaire 13 - http://www.letelegramme.fr/bretagne/le-juge-trevidic-la-religion-n-est-pas-le-moteur-du-jihad-27-06-2015-10682946.php 14 - Enseignants de langue arabe, éducateurs, aumôniers, responsables associatifs... 15 - Textes fondateurs de l'islam, le Coran et la sunna. 16 - Réalité sociale, économique et politique dans laquelle vivent les musulmans. 17 - Voir les éditions de Liberté du 30 juin, le 1er et le 2 juillet 2015.