Le village de Mira a vécu un samedi d'enfer. N'était l'intervention diligente des comités de village, qui sont parvenus, après d'immenses efforts et des trésors de sagesse, à dénouer la situation fort explosive, le pire serait certainement arrivé, surtout que les autorités n'ont pas daigné intervenir. Des maisons calcinées, une cafétéria et une demi-douzaine d'ateliers et autres hangars encore fumants témoignent de la violence des affrontements du 22 août 2015 qui ont eu lieu à Mira situé à 35 kilomètres au nord de Tizi Ouzou. La journée restera gravée dans les mémoires des Aït Jennad, tribu à laquelle est rattachée cette localité, secouée par un désastre qui aura conduit à l'irréparable. "Je n'ai jamais vu cela depuis la guerre de Libération quand l'aviation coloniale a pulvérisé notre village", se désole Dda Rezki, un vieux retraité venu avec les villageois inviter les nouveaux occupants au dialogue. Samedi après-midi, des centaines de villageois sortent du village de Mira pour demander à certains de leurs concitoyens de sortir de chez eux afin de trancher, une fois pour toutes, le problème de l'occupation illégale de plusieurs parcelles de terrain situées à la périphérie du hameau relevant du patrimoine du village (lmechmel). Refus de composition. Le ton monte. La masse des villageois se rapproche des maisons. Les occupants réagissent en lançant des cocktails Molotov. C'est l'explosion. Toutes les habitations et locaux non occupés sont incendiés. Miracle, il n'y a pas eu de victimes. Une heure plus tard, les gendarmes arrivent. Ils observent la scène pendant que les flammes achèvent de lécher les murs des constructions. Retour sur un problème que les autorités ont laissé pourrir depuis des années. Comme beaucoup de villages de Kabylie, celui de Mira connaît des contraintes de foncier constructible, d'autant plus sévères que les plans d'aménagement du territoire sont inexistants ou ignorés des populations comme d'ailleurs souvent des pouvoirs publics. Résultats : les citoyens subissant une pression démographique incessante s'approprient des espaces appartenant tantôt aux domaines, tantôt aux eaux et forêts et, dans le cas d'espèce, à la communauté villageoise de Mira. Au bout de quelques années, le patrimoine collectif est rogné de toutes parts et la majorité des citoyens se trouve privée de chemin de passage, de voies pour la viabilisation des quartiers ou d'évacuation d'eau. Des vieux décident alors d'interpeller les indus occupants. Conciliabules, promesses de libérer des accès puis esquives et encore de nouveaux accaparements. Le comité de village, se substituant à la défaillance de l'administration, se saisit de l'affaire, appelle à la raison et invoque la sagesse et les lois ancestrales. Il est entendu par une bonne partie des occupants. Sauf que parmi ces derniers, certains, résidant essentiellement à l'Ouest, refusent de se soumettre à l'arbitrage de tajmaât dont il ne reconnaisse pas l'autorité. C'est le blocage. Du coup, le comité de village se retourne vers les autorités officielles pour informer de la gravité et de l'urgence du problème. Peine perdue. Par désorganisation, incompétence ou méconnaissance des enjeux et des us et coutumes locales de la part de certains responsables extérieurs à la région, l'affaire traîne en longueur. Il y a une douzaine de jours, les membres du comité de village, soumis à la pression des villageois, alertent la daïra de Timizar dont dépend le village, ainsi que la wilaya en insistant sur l'extrême tension qui règne à Mira et les met face à leur responsabilité : si rien n'est fait immédiatement, les citoyens se chargeront de se faire justice. Sans que l'on sache vraiment pourquoi, les autorités ont pas cru utile d'accorder de l'importance à cet appel ni encore moins intervenir. Jusqu'à ce samedi quand les fumées dépassant des collines ont provoqué un vif émoi dans la région. La nouvelle se répand comme une traînée de poudre, chacun redoutant le pire. Les membres des comités de village de Timizar et d'Aghribs arrivent sur les lieux pour constater les dégâts et essayer d'arrêter l'escalade... sous le regard débonnaire des gendarmes. Ils parviennent difficilement à ramener le calme. Mais sur le fond, rien n'est réglé. Les autorités, qui se sont enfin manifestées tard en fin d'après-midi, semblent perdues et n'ont pris aucune décision concrète à même d'apaiser les esprits. Dans la soirée, les habitants de Mira se sont réunis en urgence. 1 018 citoyens ont signé sur place un engagement par lequel ils décident de repartir le lendemain à 10h avec des engins et des équipes, afin de lotir équitablement les lieux. Aussi, hier matin, vers 8h, les coordinations des comités de village des communes de Timizar et d'Aghribs se sont rendues sur site pour gagner du temps et tenter de refroidir une atmosphère explosive. "Si les pouvoirs publics se manifestaient pour au moins dire que la loi a été respectée, cela nous aiderait considérablement", estime Hocine membre de la coordination de Timizar. Finalement, ils sont parvenus, en début d'après-midi, à dénouer la situation qui menaçait de dégénérer plus gravement encore. Faut-il noter que ce n'est pas la première fois que les autorités informées d'un problème où une minorité outrepasse ses droits et viole la loi laissent la situation pourrir et dégénérer. Pour rappel, le centre d'enfouissement technique devant servir aux communes d'Aghribs et de Fréha, avec l'assentiment des élus, toutes tendances confondues, et l'ensemble des comités de village, est bloqué depuis le 21 juillet par un groupe mené par une personne qui a implanté son rucher à proximité du site. "À croire que là aussi, il y a comme une volonté à pousser les habitants à régler eux-mêmes ce problème. Le chef de daïra a reçu plus souvent cet individu qui n'est ni élu ni membre d'un comité de village que les représentants de la population qui commencent à sérieusement perdre patience", peste un élu de l'APC d'Aghribs qui était un des premiers arrivés samedi après-midi à Mira. R. N.