La France compte un peu plus de 20 000 étudiants algériens. Beaucoup vivent dans la précarité en raison d'une législation contraignante et de l'indifférence des représentants de l'Etat algérien. Mohamed a besoin de savoir et vite. Le formulaire Cerfa (administratif) de demande d'autorisation de travail a-t-il changé et si oui où peut-il se le procurer ? Sa question comme une bouteille jetée à la mer tombe dans un océan de messages, qui laissent trahir la panique et la solitude de leurs auteurs, des étudiants algériens noyés dans les problèmes de la vie en France. Pour obtenir des infos, des conseils et de l'aide, ils échouent sur les réseaux sociaux. Désemparée, Naila se demande si elle ne risque pas de perdre son titre de séjour après avoir commencé à travailler, sans autorisation préalable, comme caissière à mi-temps dans une grande surface. Etudiante en Master dans un campus parisien, la jeune fille qui est arrivée récemment d'Algérie ne savait pas qu'il est nécessaire d'avoir un permis d'embauche. Elle l'a appris par hasard au détour d'une conversation avec un groupe d'amis à la fac. Son employeur qui a l'habitude de recruter des étudiants, y compris étrangers, ignorait également qu'elle devait obtenir le feu vert de l'administration (la Direction départementale du travail et de l'emploi) pour travailler. Cette règle très contraignante est exceptionnellement appliquée aux étudiants algériens depuis un demi-siècle. Elle a été édictée par les Etats algérien et français dans le cadre de l'accord de 1968 fixant les conditions d'entrée et de séjour des Algériens en France. Celui-ci stipule que "les ressortissants algériens titulaires d'un certificat de résidence portant la mention ‘étudiant', sous réserve de leur inscription dans un établissement ouvrant droit au régime de sécurité sociale des étudiants, peuvent être autorisés à travailler dans la limite d'un mi-temps annuel pour la branche ou la profession concernée. L'autorisation est délivrée sous forme d'autorisation provisoire de travail sur présentation d'une promesse d'embauche ou d'un contrat de travail". "Cette loi forme autour de nous un véritable cercle vicieux", déplore Smaïn et d'évoquer la situation inextricable de nombreux compatriotes ballotés comme lui entre une administration stricte et certains employeurs sourcilleux du respect de la législation et qui font parfois du zèle. "Le responsable de la bibliothèque municipale où j'ai déposé mon CV a mis fin à l'entretien d'embauche aussitôt qu'il a appris que je n'avais pas encore d'autorisation de travail. Or il est impossible d'avoir ce permis si on n'a pas déjà décroché un emploi", explique l'étudiant en lettres. Complètement sonné par cette logique absurde, il a néanmoins trouvé rapidement une solution alternative : le travail au noir dans un hôtel où il fait office de veilleur de nuit. Son emploi lui permet de régler sa part de loyer dans un petit appartement qu'il occupe avec trois autres compatriotes. La co-location, une seconde alternative qui permet à beaucoup d'étudiants de trouver un toit pour pas cher, à condition cependant d'avoir un garant. "Ceux qui n'en possèdent pas sont contraints à la précarité. Ils sont souvent hébergés par des tiers qui leur réclament des sous-loyers. Pis encore, sans un bail de location, ils n'ont aucune possibilité d'obtenir une aide de l'Etat au logement", souligne Dehbia. Cette élève-ingénieure sait de quoi elle parle. En quittant la maison de ses parents en Algérie, elle était loin d'imaginer qu'elle deviendrait SDF en France. Des proches acceptent de l'accueillir mais ne lui offrent qu'un gîte provisoire. Elle trouve refuge ensuite chez des anciennes camarades de fac qui lui font néanmoins payer le prix de son lit. Son salut viendra plus tard, de la part de la direction de son école qui mettra à sa disposition une chambre universitaire. Un privilège car en France, l'accès aux cités U est très sélectif. Il est réservé en priorité aux étudiants français. Des pays étrangers comme le Maroc disposent d'hébergements propres à Paris pour leurs étudiants. Mais pas l'Algérie. Une convention signée avec la direction de la cité universitaire internationale de Paris en 2005 devait aboutir à l'édification d'une maison dotée d'une capacité d'accueil de 250 compatriotes. Mais à ce jour, ce projet est toujours en attente de réalisation. Résultat, les étudiants algériens doivent outre leurs diplômes faire preuve d'un sens accru de la débrouillardise pour s'en sortir. "Campus France ne nous encadre pas suffisamment. Il joue uniquement un rôle de passerelle avec les universités. Nous devons prendre en charge tout le reste et seuls", confie Adnane, arrivé en France en 2014. Un peu moins de 20 000 étudiants algériens prennent part annuellement aux sélections de Campus France. Ce qui place l'annexe algérienne de cet organisme en charge de l'accueil des étudiants étrangers, à la première place mondiale en termes de demandes. Les candidats font de leur mieux pour être retenus. Certains passent les entretiens plusieurs fois. Ils sont prêts à tout pour obtenir le droit d'étudier en France, même à s'endetter pour s'acquitter de la caution financière (environ 7000 euros) nécessaire à l'obtention du titre de séjour. "L'argent est le nerf de la guerre", plaisante Adnane qui évoque une vie d'étudiant pleine de sacrifices. Aujourd'hui, il est dans la vie active. Son parcours brillant lui a permis de décrocher un poste de chercheur dans un labo du CNRS et de devenir un salarié. Ce statut rêvé par la plupart des étudiants algériens qui souhaitent prolonger leur séjour en France n'est pourtant pas à la portée de tous. Il y a quelque temps, la préfecture de la Seine Saint-Denis en région parisienne s'est distinguée en refusant systématiquement les demandes de changement de statut introduites par les étudiants algériens. Les requérants ont été tout bonnement invités à quitter le territoire. À la suite de la mobilisation des associations étudiantes, le Conseil d'Etat a rendu une décision obligeant l'administration à se conformer à la loi. S. L-K.