Lorsque Nicolas Sarkozy avait lancé, début 2007, au plus fort de sa campagne électorale, son slogan d'«immigration choisie, les étudiants étrangers inscrits dans les grandes écoles n'avaient pas paniqué outre mesure. «Pas nous, le tour de vis ne nous concerne pas», s'étaient-ils sans doute dit. Promis à un brillant cursus universitaire, ils pensaient à tort que leur futur diplôme était synonyme de carte de séjour et de permis de travail assurés ! Quatre années plus tard, beaucoup ont dû déchanter. Et pour cause ! Les «cols blancs» de l'immigration sont frappés, à leur tour, par le durcissement de la politique d'immigration. Aussi surprenant que cela puisse paraître, ceux qui devaient symboliser au mieux «l'immigration choisie» chère à Sarkozy en sont victimes. Depuis le printemps dernier, une circulaire interministérielle leur donne des sueurs et les plonge dans des nuits blanches. Cosigné le 31 mai dernier par le ministre de l'Intérieur Claude Guéant et son homologue du travail Xavier Bertrand, le texte verrouille les conditions d'accès au marché du travail pour les étudiants étrangers. Y compris les lauréats des grandes écoles. Cette contrainte exclut les étrangers originaires des pays membres de l'Union européenne. Au rang des étrangers visés par la «circulaire Guéant-Bertrandé», des Algériens, des Marocains, des Tunisiens, des Chinois, etc. Depuis la rentrée sociale, pas un jour ne passe sans que la presse parisienne et de province ne signale, ici et là, des cas d'étrangers empêchés de recrutement. Aujourd'hui, les campus français accueillent quelque 250 000 étudiants étrangers (hors étudiants issus des pays de l'Union européenne). Une proportion qui fait de la France le troisième pays d'accueil des étrangers derrière les Etats-Unis et la Grande-Bretagne. L'essentiel de la troupe estudiantine étrangère est composé de Marocains (10,9%), de Chinois (9,5%), d'Algériens (7,7%), de Tunisiens (4,5%), etc. Plus de la moitié des étudiants étrangers (hors UE) de l'Hexagone sont inscrits en mastère et en doctorat. Que dit exactement la «circulaire Guéant-Bertrandé pour susciter, aujourd'hui, la grogne des diplômés étrangers et irriter les patrons des grandes écoles ? Destiné aux services de l'administration en charge du séjour et du travail, le texte cosigné par l'Intérieur et le Travail instruit les préfectures de verrouiller tous azimuts : durcissement des conditions de délivrance des autorisations de travail et des procédures d'obtention du «CDS» ou changement de statut, un parcours administratif auquel tout étudiant étranger hors UE doit se soumettre pour glaner un titre de séjour ouvrant droit au travail. De surcroît, l'étudiant étranger voit la liste des métiers ouverts aux non-Européens réduite substantiellement. Sans compter l'obligation de justifier de ressources financières en hausse pour obtenir un titre de séjour étudiant. Conséquence d'un arrêté ministériel pris début septembre dans le prolongement de la «circulaire Guéant-Bertrand», tout demandeur d'un «titre de séjour étudiant» est tenu de justifier de ressources mensuelles d'un montant oscillant entre 620 et 770 euros contre 460 euros avant le printemps. Diffusée à la veille des départs en vacances, mise en œuvre depuis la rentrée, la circulaire produit ses effets à l'épreuve du terrain. La presse française signale de nombreux cas d'étudiants confrontés aux conditions contraignantes voulues par les ministres de l'Intérieur et du Travail. Au nombre des cas relevés par le quotidien économique La Tribune, des lauréats des écoles les plus prestigieuses et des diplômés qui ont déjà été pré-embauchés par les plus grands cabinets de conseil. Pris de court par les dommages collatéraux de la «circulaire Guéant-Bertrand», les étudiants se mobilisent contre cette disposition. Un «mouvement du 31 mai» (allusion à la date de signature de la circulaire) a été lancé. Objectif, la contestation de conditions qui leur ferment l'accès au marché du travail en dépit de qualifications de standing. Les patrons des grandes universités ne sont pas en reste. Directeur de la prestigieuse Essec (grande école de commerce) et président de la Conférence des grandes écoles, Pierre Tapie n'est pas du tout tendre avec cette démarche gouvernementale. Formés dans les grandes écoles françaises, les étudiants étrangers symbolisent, à ses yeux, le modèle de l'enseignement français et la formation des futures élites. «L'avenir de l'influence de la France, c'est le «soft power». Ce ne sont pas d'abord les Rafale et les chars Leclerc», assène Pierre Tapie, le patron de l'Essec et de la Conférence des grandes écoles. En écho au cri du patron de l'Essec, un éditorialiste de la presse économique se livre à un tacle appuyé contre la circulaire. «En renvoyant chez eux des diplômés de HEC, Centrale ou de grandes universités qui espéraient une première expérience internationale, ce durcissement envoie un message très négatif aux élites du monde entier. Le refus administratif qui leur est opposé est humiliant pour des jeunes auxquels les entreprises déroulent leur tapis rouge ; c'est un calcul à courte vue pour l'idée qu'ils se font de la France quand il s'agit d'étudiants qui ont une vie professionnelle entière devant eux».