Jusqu'à cette "remise des pendules à l'heure", opérée hier par Daho Ould Kablia, il y avait de quoi s'offusquer, comme en atteste la réaction de Belaïd Abane, le neveu du héros assassiné. Il n'en est donc rien et c'est tant mieux. Mais est-ce à dire que le dossier est clos. Sans doute, non. Car des propos similaires à ceux attribués à l'ex-ministre de l'Intérieur, voire plus graves, ont été tenus auparavant par d'autres, dont les défunts Ali Kafi et Ahmed Ben Bella, et il est certain que d'autres encore reviendront à la charge pour les réitérer. Ces propos visent, à chaque fois, une justification pure et simple de la liquidation d'Abane Ramdane, il y a plus d'un demi-siècle, en s'appuyant systématiquement sur un réquisitoire en règle contre Abane, suivi d'un verdict sans appel : celui qu'on appelle "l'architecte de la Révolution algérienne" devait être assassiné. Or, il n'a jamais été établi formellement que la décision d'exécuter Abane Ramdane a été discutée et entérinée par la majorité des membres du CCE (Comité de coordination et d'exécution), encore moins à l'unanimité. Il est acquis, en revanche, que certains d'entre eux, considérés pourtant, eu égard à leur qualité de militaires, comme plus proches de leur pair Boussouf que du chef politique qu'était Abane, y étaient franchement opposés. Et, mieux, ils l'ont fait savoir avant le passage à l'acte. Selon une thèse largement partagée et confortée par plusieurs témoignages, il a été convenu, lors d'une réunion tenue entre le 17 et le 20 décembre 1957, de mettre Abane Ramdane dans une sorte de "résidence surveillée", pour mettre fin à "toutes les difficultés" qu'il causait aux colonels. Il tenait fermement à traduire dans les faits le principe de la "primauté du politique sur le militaire" tel que consacré au Congrès de la Soumam, tandis qu'eux y voyaient la fin de leur pouvoir. Trois membres du CCE seulement auraient pris part à cette réunion : Bentobal, Mahmoud Cherif et Krim Belkacem. Le colonel Ouamrane se trouvait à Damas en mission et c'est Bentobal qui l'informera de la décision prise dès son retour à Tunis. "Nous avons évoqué toutes les difficultés que nous cause Abane. Nous avons prévu de l'arrêter et de l'enfermer dans la cave d'une villa (...) Mais comme cette villa est située dans le quartier Mont-Fleury, à Tunis, nous avons pensé qu'Abane pourrait attirer l'attention des passants et des autorités tunisiennes par ses cris." Et de poursuivre : "C'est la raison pour laquelle nous avons décidé Krim, Mahmoud Cherif et moi, de l'envoyer au Maroc pour le mettre en prison." Mais qui croirait donc qu'il fallait transférer Abane de la Tunisie au Maroc juste pour trouver un lieu d'incarcération sûr ? En réalité, il s'agissait d'un stratagème conçu pour livrer Abane à Boussouf qui avait déjà recruté les deux barbouzes qui allaient se charger de l'exécution de son dessein funeste lequel était bien le sien propre et non celui du CCE comme instance dirigeante de la Révolution. S.C