La lettre du "groupe des 19", c'est ainsi qu'il s'appellera, désormais, est une vraie bombe lancée dans l'entourage du président Bouteflika, au moment même où Amar Saâdani croit avoir repris l'initiative politique. Les dégâts seront d'autant plus incommensurables que parmi les signataires, on compte des proches, voire des intimes, du président Bouteflika, dont on était à mille lieues de supposer qu'un jour il prendrait un acte qui le mettrait, à tout le moins, dans une position inconfortable. Il s'agit, notamment, de Mme Zohra Drif-Bitat, dont l'amitié avec le Président remonte aux années de sa disgrâce, du temps de Chadli Bendjedid. C'est en témoignage de cette amitié que le président Bouteflika lui rendra la politesse en en faisant un membre inamovible du Conseil de la nation, dans le cadre du tiers présidentiel. Il y a dans la liste des signataires Abdelkader Guerroudj, moudjahid et condamné à mort connu pour sa relation amicale avec le président Bouteflika. Mme Khalida Toumi également. Sa présence sans discontinuité au sein des gouvernements successifs, pendant les trois mandats, elle la doit au chef de l'Etat qu'elle tient toujours en haute estime, même si elle a perdu son poste de ministre, au lendemain du quatrième mandat. Ce serait, raconte-t-on dans les milieux médiatiques, Saïd Bouteflika qui serait derrière son éviction. En parcourant la liste des signataires, on ne manquera pas de noter aussi le nom de Mustapha Fettal, lui aussi ancien moudjahid et ancien condamné à mort, Lakhdar Bouregaâ, moudjahid et commandant de l'ALN, connu dans la presse pour son combat solitaire contre les faux moudjhidine. Mohamed Lemkami, moujahid lui aussi et figure de la diplomatie algérienne, qui a beaucoup travaillé avec Abdelaziz Bouteflika lorsqu'il était le fringant ministre des Affaires étrangères de Houari Boumediene. Mais, médiatiquement et politiquement parlant, c'est la signature de Louisa Hanoune qui donne du poids à la lettre. La patronne du Parti des travailleurs a pris bien des coups dans l'arène politique en défendant mieux que ne l'ont fait le FLN, le RND, le président Bouteflika. Au moment où une grande partie de la classe politique était farouchement opposée au quatrième mandat, revendiquant même la mise en branle de l'article 88 de la Constitution, elle était là, droit dans ses bottes, à soutenir, envers et contre pas mal de monde, le désir du président Bouteflika de briguer un quatrième mandat, en invoquant la souveraineté du peuple et en s'appuyant sur l'artifice virtuel de la révocabilité du mandat. Même après la réélection du président Bouteflika, Louisa Hanoune, tout en allant à la machette contre des membres du gouvernement Sellal, s'est toujours gardée d'atteindre par ses critiques le Président. Officiellement, car en off, elle se laissait parfois aller à certaines confidences à travers lesquelles elle exprimait ses doutes par rapport à des décisions prêtées au président Bouteflika. Le texte de la lettre des"19" traduit une déchirure, un cas de conscience des signataires partagés, tiraillés entre le respect, la considération qu'ils ont pour le moudjahid, l'homme politique, l'ami et le devoir patriotique de ne pas se taire devant un état de fait porteur de violence potentiel pour l'avenir du pays. Cette déchirure s'exprime dans toute sa plénitude dans l'antépénultième paragraphe de la lettre. "Cependant, nous sommes convaincus que cet état de fait n'est conforme ni à votre qualité de moudjahid, ni à votre éthique, ni à vos convictions, ni à votre sens de l'Etat, ni à votre pratique de Président...", y lit-on. O.O.