L'Algérie, jadis terre d'humanité et de dignité, de la compassion et de la solidarité, n'a rien pu faire pour au moins préserver la dignité de Naïma. Après son rejet par la famille et les viols, elle a subi encore une fois une atteinte à son corps ; elle a subi une hystérectomie lors de son dernier accouchement. Naïma a été alors rejetée, jetée à la rue... sans son enfant et sans utérus. Abandonnée à 15 ans, elle a subi toutes les persécutions imaginables et toutes les formes de violences, émotionnelles, verbales, sociales, physiques et surtout sexuelles quand elle s'est fait violer par un groupe de jeunes, en plein public. Personne n'a réagi devant son martyre. Elle n'a jamais été protégée ni prise en charge. 10 ans après, Naïma est toujours à la rue, subit encore des viols consécutifs et des humiliations de toutes sortes. Elle vit dehors et dort dans les allées qui bordent la RN49, hiver comme été ; pour elle, il n'y a pas de différence puisque même dans le froid glacial, elle se promène nue dans la ville, car pour Naïma, les notions de société et de sociabilité ont disparu. Paria, elle n'est qu'un animal qui effraye les passants ; un objet de plaisir pour tous les malades et les pervers. Un dossier archivé dans les tiroirs de l'administration. Maculée dans le corps et l'esprit "Naïma lkharfa" (la folle) "n'est pas kharfa" (elle n'est pas folle), contusionnée dans la partie la plus intime de son corps, elle ne comprend pas les raisons de ce qu'elle subit. Tout s'embrouille pour elle, tout est incompréhensible. Un état souvent perçu comme un symptôme de trouble psychique, explique son ancien médecin traitant. Après le viol, le sentiment d'être souillée et maculée touche à la fois le corps et l'esprit, l'envie irrésistible de se déshabiller et de jeter ses vêtements est le besoin intense de se débarrasser de cette salissure, et c'est ce qui se passe avec elle, en plus de la manière dont la société la traite qui provoque aussi chez elle une bourrasque d'émois, d'affolement et une forme "d'hémiplégie psychique" qui peut déformer sa perception des hommes et de la société et produire un profond sentiment d'insécurité, ajoute le médecin. Vieillie, meurtrie et hors du monde Naïma, un corps meurtri et affaibli, le crâne rasé, un visage creusé aux traits fatigués, teint terne, rides et un regard absent, elle semble perdue et n'appartient plus à la communauté humaine. Une image complètement scandalisante qui reflète la cruauté d'une société impitoyable pourtant dite musulmane. Rencontrée près de l'hôpital militaire, elle avait très mal au ventre et vomissait. Elle a été, en fait, renversée par un véhicule et personne n'est venu à son secours. Laissée toute seule avec ses douleurs dans un coin, elle n'attend plus personne. Malgré son air craintif, elle paraît totalement normale, sauf quand on l'appelle "kharfa" (la folle) ; le mot la rend folle de rage et agressive. Interrogé sur la non-prise en charge de Naïma, l'ex-directeur renvoie à ses parents qui l'ont rejetée et refusent de s'occuper d'elle. Il a affirmé que son état est dû à une maladie psychiatrique héréditaire qu'a la majorité des membres de sa famille. Et pour sa prise en charge, il a déclaré que la DAS ne dispose pas de centre d'accueil spécialisé pour les cas médico-sociaux. Une innocence enlevée et une société aussi coupable Pour en apprendre davantage sur les conditions dans lesquelles vivait Naïma et ce qui pourrait bien expliquer son état actuel, nous sommes allés recueillir des informations auprès de sa famille et du voisinage. À la cité où habitent ses parents, des voisins nous ont raconté une partie de son calvaire qui a débuté lorsqu'elle s'est fait violer par un proche. Au domicile familial, malgré les conditions de vie misérables et déplorables, aucun parent, contrairement à ce qui nous a été raconté, ne présente de trouble psychique. La mère de Naïma disconvient complètement que sa fille soit folle et confirme qu'elle ne souffre d'aucun trouble mental, ce que d'ailleurs beaucoup de voisins et de témoins confirment. Les conditions de vie, la pauvreté, l'entourage et la "hogra" sont les principales causes de la fugue et celle, quelques mois plus tard, de sa sœur, ajoute sa mère. Détresse sociale ou détresse psychique ? Nonobstant tous les dispositifs et les procédés en matières d'aide et de soutien psychologique aux populations vulnérables et en difficulté psycho-sociale censés s'occuper d'elle et des cas similaires, aucune procédure n'a jamais été sérieusement entreprise pour prendre en charge le cas de Naïma. Elle est à la merci de la rue qui est loin de la traiter comme un être humain. En 2011 et 2012, par deux arrêtés du wali pour placement d'office, Naïma a été placée à l'hôpital psychiatrique d'Oued El-Othmania à Mila où le diagnostic révèle une psychose, selon le compte-rendu de son médecin consultant. Elle a été traitée puis libérée après quelques mois suite à l'amélioration de son état. À son retour, le même scenario se répète : elle est abandonnée et négligée, sans suivi ni prise en charge que ce soit par les institutions spécialisées ou sa famille. Livrée à elle-même et à la rue, son calvaire reprend en même temps que les viols. Elle tombe enceinte une troisième fois. Lors d'une tournée de ramassage des SDF, une équipe d'assistants sociaux et d'agents de la Protection civile l'a placée dans la maison de retraite de Lahdeb en 2013, mais le lendemain, le directeur a ordonné son expulsion immédiate sans même un examen médical sous prétexte que l'établissement ne prend pas en charge les femmes enceintes. Encore une fois, c'est la rue qui l'attend ! Jusqu'à son accouchement à l'hôpital d'Ouargla, où elle a mis au monde un bébé qui a été placé, sur ordre du procureur, au centre de l'enfance assistée à Ouargla. Ce qui l'a encore fortement affectée et marquée. Et son transfert dans un centre psychiatrique "pour s'en débarrasser" encore plus puisqu'elle l'a ressenti comme une autre forme d'injustice et d'oppression. Elle est ainsi passée de mineure abandonnée à malade mentale en passant par une SDF sans avoir eu droit à une véritable prise en charge. "Pour la maintenir en bonne santé mentale, cela nécessite un effort collectif", affirme un médecin. Un traitement médical ne peut être efficace s'il n'est pas associé à une prise en charge sociale qui fait partie intégrante du traitement, à l'amélioration des conditions de vie, familiales et environnementales. Ce dont elle avait réellement besoin pour se débarrasser des profondes séquelles du long calvaire qu'elle a vécu pour pourvoir enfin réintégrer la société. Sa société. Sa société est, pour le moment, l'impitoyable rue ! G. C.