Libération et Le Monde ont apporté une nouvelle contribution à la théorie du “Qui tue qui ?”. Elle se fonde sur le témoignage d'un lieutenant de l'ANP, emprisonné depuis deux ans à Bangkok, après que son visa eut expiré. La thèse de ce type, outre qu'elle mobilise invariablement des militaires en situation délicate avec leur pays et en difficulté administrative dans leur pays d'“accueil”, suppose, cette fois-ci, que l'“émir” des GIA de l'époque fut un agent double aux ordres des services algériens. Il semble loin d'en avoir le profil, si l'on s'en tient à sa doctrine et à son action à la tête des groupes armés. Le kidnapping puis l'assassinat des moines de Tibhirine revendiqués par Zitouni, respectivement dans ses communiqués n° 43 daté du 05/04/96 et n° 44 du 21/05/96, sont effectivement survenus dans une période trouble pour le GIA puisqu'il a failli perdre le soutien des éditeurs d'El Ansar à l'étranger suite à l'exécution des chefs de la Djazar'a accusés par Zitouni d'avoir négocié avec les services français l'arrêt des attentats en métropole. Ironie du sort ou peut-être de l'histoire, Zitouni disait avoir décidé de sacrifier les moines suite à l'échec de ses négociations avec l'ambassade de France, à laquelle il réclamait, pour une raison non élucidée encore, une fois de plus, la libération de Layada. Cette revendication avait déjà été formulée aux services français lors de l'affaire du détournement de l'Airbus d'Air France. Selon les “révélations” des deux journaux, Zitouni est aujourd'hui accusé d'avoir été un agent double des services algériens qui ont concocté l'affaire des moines “pour arrimer la France à leur combat antiterroriste''. La France a eu à subir dès 1995, sur son sol, des attentats à la bombe préparés par les lieutenants du GIA, et son adhésion à la lutte antiterroriste ne faisait plus aucun doute. En témoignent les nombreuses arrestations dans les milieux islamistes effectuées par la police française. Zitouni, qui a pris la tête du GIA après la mort de l'unificateur des groupes, Chérif Gouasmi, était effectivement contesté par certains groupes ayant rallié le GIA après ses succès sur le terrain, en particulier la Djazar'a, qui a voulu rééditer l'épisode du “congrès de la fidélité” — où elle s'emparait du contrôle du FIS dissous — pour prendre la direction du GIA. Ce même Zitouni n'avait rien apporté de nouveau dans la doctrine du GIA puisqu'il n'a fait que mettre à exécution les menaces du communiqué n°2 du GIA daté du 25/10/93 publié dans El Ansar du 28/10/93 menaçant les étrangers qui continueraient à vivre ou à avoir des relations avec l'Algérie. L'affaire des moines s'inscrit dans la suite logique des attentats commis contre les étrangers en Algérie inaugurés par l'assassinat de deux ressortissants français à Sidi Bel Abbès en 1993. Il est vrai que cette position n'a jamais été celle de l'instance exécutive du FIS à l'étranger, mais il est vrai aussi que le FIS n'a jamais contrôlé les GIA, contrairement à ce que le pouvoir algérien a bien voulu croire pendant un temps et que les signataires et défenseurs du contrat de Sant'Egidio continuent de faire croire pour justifier leur démarche politique “réconciliatrice”. Les GIA ont probablement été infiltrés par les services algériens, mais il est difficile de penser, au vu du parcours de Zitouni, qu'il ait pu être un agent double. À travers son opuscule Hidayat rabi el alamine, on peut non seulement retracer la constitution du GIA, mais également son itinéraire de salafiste extrémiste. D'ailleurs, n'est-ce pas lui qui trouvait que Ali Benhadj s'était éloigné de la doctrine salafiste, c'est-à-dire moins radical que lui ? En attendant de mesurer la crédibilité de ce nouveau — mais tardif témoignage pour quelqu'un qui s'est exilé depuis quelques années —, l'idée de la complicité d'un chef terroriste aussi résolu pour l'établissement de l'ordre théocratique par le sang est peu convaincante. Y. A. L.