Si l'ancien directeur de la sûreté interne, chargé de la coordination et du suivi des projets de la télésurveillance pour l'ensemble des installations de Sonatrach, et le chef de projet au niveau de l'activité amont ont expliqué ce que le management de la compagnie a qualifié de situation d'urgence, ils auront surtout blanchi Chakib Khelil en ce qui concerne ce volet de l'affaire. Le tribunal criminel d'Alger a fini, avant-hier, avec les auditions des témoins concernés par le premier volet de l'affaire Sonatrach I, relatif aux marchés de la télésurveillance. Trois témoins clés se sont ainsi succédé à la barre, l'ancien directeur de la sûreté interne, chargé de la coordination et du suivi des projets de la télésurveillance pour l'ensemble des installations de Sonatrach, Mohamed Guerar, le chef de projet au niveau de l'activité amont, Slimane Ghezli, et le commissaire aux comptes de la société Contel Algeria et de la holding qui la gère, à savoir Contel Holding. Il faut dire que les auditions aussi bien des accusés que des témoins par rapport à ce premier volet de l'affaire n'ont pas élucidé, jusque-là, les deux questions principales, à savoir qui aurait admis le groupement de sociétés Contel Funkwerk, recommandé par le fils aîné du P-DG de Sonatrach, sur la liste des fournisseurs de la compagnie ? Et qui l'aurait couvert tout au long des processus de passation de marchés, sachant que Bachir Faouzi, fils cadet du P-DG Mohamed Meziane, était associé dans Contel Algeria qui constitue ledit groupement avec l'allemande Funkwerk Plettac et que son fils aîné, Mohamed Réda, était actionnaire dans Contel Holding qui détient 90% des parts dans Contel Algeria ? Les avocats de la défense ont orienté les débats sur des futilités, allant jusqu'à discuter de la teneur du béton armant les poteaux qui portent les caméras de surveillance. Même si certains ont maladroitement enfoncé leurs clients en poussant les témoins à révéler des détails qui déconstruisent l'argumentaire de ceux qui se cachent derrière les instructions de l'ancien ministre de l'Energie et des mines Chakib Khelil, lequel sort blanchi de ce volet précis de l'affaire. L'un des avocats de l'ancien vice-président chargé de l'amont, Belkacem Boumediene, en détention depuis l'éclatement du scandale, il y a six ans, a fait lire à l'ancien directeur de la sûreté interne de Sonatrach, Mohamed Guerar, actuellement à la retraite, un passage de la deuxième circulaire du ministre de l'Energie et des Mines, datant de janvier 2006, et exhortant le management de Sonatrach à rattraper le retard en matière de sécurisation des installations industrielles où il est énoncé que "les arguments des responsables justifiant le retard dans le lancement des appels d'offres étaient irrecevables". Cet avocat, qui entendait établir le rôle actif du ministre ainsi que celui du témoin en question, aura démontré que l'urgence ayant conduit au gré à gré ne se justifie pas par les instructions de Chakib Khelil, mais plutôt par le retard cumulé dans la réalisation de ces projets inscrits dans le programme de Sonatrach dès 2001. Car, une partie de ces projets, comme le siège d'Hydra, a été confiée en 2001 à une entreprise publique qui a sous-traité la fourniture des équipements à Bosch, ou les installations de Hassi R'mel qui ont été dotées en 2002 de systèmes "anti-intrusion" fournis par les Français de Martec. Mohamed Guerar était la courroie de transmission entre le top management de Sonatrach et les cadres qui gèrent les projets. "Je faisais le reporting mensuel sur l'état d'avancement des projets et je déclinais les instructions du management auprès de la base. J'ai eu à aviser le P-DG de la compagnie et même le ministre au sujet des retards sur le terrain. À compter de janvier 2005, les projets de sécurisation de l'ensemble des installations ont fait l'objet d'une dizaine de réunions d'un comité exécutif restreint. Et j'ai eu ainsi à répercuter les mesures à suivre", a-t-il déclaré.
Urgence ou panique chez les cadres défaillants ? Néanmoins, quand les notes sécuritaires ont commencé à pleuvoir sur le bureau de Chakib Khelil avec la recrudescence des menaces terroristes ciblant les installations pétrolières en 2004/2005, le fils cadet du P-DG Mohamed Meziane a acquis des parts dans la société Contel Algeria qui prospectait le marché de la télésurveillance en Algérie et des partenaires allemands pour la fourniture des équipements. Le réveil du management de Sonatrach, sous les coups de la menace terroriste et des sanctions brandies par le ministre à l'encontre des cadres défaillants, aura créé une situation de panique amenant les responsables de la compagnie à improviser pour éviter les foudres de leur tutelle et préserver leurs postes. Dans ce contexte, Slimane Ghezli, chargé du projet des 123 installations de l'activité amont, réparti en quatre lots, a indiqué que "suite à la première circulaire du ministre abordant la sécurisation des installations de janvier 2005, le comité exécutif (CE) a tenu une réunion qui a entériné un plan d'action décrétant le lotissement des projets par région et spécifiant la consultation restreinte comme procédure à suivre pour la passation des marchés". Et d'ajouter : "La logique qui avait présidé à ce lotissement était de faire vite et de prévenir contre un éventuel monopole qui pouvait résulter d'un appel à la concurrence tout en préservant l'homogénéité des équipements, au moins sur une échelle régionale. Mais, la répartition des lots s'était référée à l'expérience de chaque soumissionnaire. Contel Funkwerk, qui avait réalisé le projet pilote à Hassi Messaoud, et Martec, qui avait installé les systèmes anti-intrusion à Hassi R'mel, se seraient donc positionnés automatiquement dans ces régions". Cela ne serait pas dépourvu de toute raison, d'un point de vue managérial. Même si la consultation restreinte n'aurait pas été admise par la directive interne à la passation des marchés. Surtout pour faire face à une situation d'urgence. Seulement, la démarche ressemble à un gré à gré simple qui a bénéficié, entre autres, à une société dans laquelle les deux fils du P-DG étaient associés. La consultation restreinte, entourée d'opacité puisqu'aucun avis la concernant n'a été publié au Bulletin des appels d'offres du secteur de l'énergie et des mines (BAOSEM), n'aurait été lancée que pour faire semblant de respecter les formes et s'assurer que les "soumissionnaires" ne s'entendent pas pour fixer les prix. Et ce, en dépit des affirmations des différents accusés et autres membres des commissions d'ouverture des plis attestant que les soumissionnaires n'ont été informés du lotissement que le jour d'ouverture des offres commerciales, peuvent être contredites par cette précision de Slimane Ghezli : "Serpe Martec n'a pas présenté d'offres s'agissant des sites vierges ni d'offres en matière d'anti-intrusion pour les autres sites". Dans une consultation normale, Serpe Martec aurait été exclue. Le fait qu'elle n'a pas présenté d'offres pour les sites susmentionnés, indique qu'elle connaissait à l'avance le lot d'installations qu'elle devait équiper. C'est que la consultation restreinte s'était basée sur trois cahiers des charges séparant les offres suivant le besoin exprimé sur chacun des sites : contrôle périmétrique, contrôle d'accès et d'anti-intrusion ou les trois à la fois. Et Serpe Martec n'a présenté ni offre technique, ni offre financière pour les sites "vierges", concentrés à In Amenas et qui ont, pour une partie, échu à Vsat; ni en matière de contrôle anti-intrusion pour les sites de Hassi R'mel, d'ailleurs, qu'elle avait, elle-même, équipés en 2002. Une croissance à trois chiffres Le hasard, s'est félicité le même témoin, a fait que Serpe Martec et Vsat étaient moins-disants pour les installations qui leur ont été confiées et seul Contel Funkwerk a dérogé à cette règle. "La supériorité technologique de Funkwerk explique ses prix élevés", a insisté Slimane Ghezli. Ce dernier, qui a précisé que les négociations menées avec Contel Funkwerk sur injonction du vice-président chargé de l'amont Belkacem Boumediene, ont permis d'obtenir une réduction de 15% par rapport au montant de l'offre initiale, n'a, en tout cas, pas pu démontrer qu'il s'agissait bien du meilleur rapport qualité-prix. Cette supériorité technologique de Funkwerk n'a pas suffi pour dissiper les soupçons de majoration des prix. Les chiffres fournis au tribunal par le commissaire aux comptes de Contel, Lotfi Mirazi, montrent que cette société a connu une ascension fulgurante grâce aux contrats avec Sonatrach. Elle a réalisé un chiffre d'affaires qualifié de "modeste" par ce même commissaire aux comptes en 2006 (45 millions de DA) et enregistré une perte de 1,6 million de DA, avant de voir sa production se multiplier par près de 50 en deux ans. Son chiffre d'affaires est passé à 380 millions de DA en 2007 et à 2, 098 milliards de DA en 2008. Soit une croissance annuelle de l'ordre de 850% à la fin de l'année suivant la signature des contrats (avec la compagnie nationale et de 550% l'année suivante. Une croissance dégageant des bénéfices allant de 30 à 35% du chiffre d'affaires. À titre d'exemple, les 6% d'actions du plus petit actionnaire de la Holding Contel, cité comme témoin, Rachid Ourabah, acquises pour 300 000 DA à la création de la holding en 2008, lui ont permis d'engranger, une année après, 10 millions de DA de dividendes. Et ce n'est que le tiers, puisque l'assemblée générale de la holding a décidé de n'en distribuer que 30%. Les dividendes qui devaient être versés à Mohamed Réda Meziane étaient de 64 millions de DA. Il convient, enfin, de signaler que le quatrième lot, le plus important de l'activité amont, qui devait échoir à Siemens, lequel s'est retiré en protestant contre le lotissement du projet, a fait l'objet d'une autre consultation restreinte. Après le lancement des travaux à travers les installations regroupées dans les trois lots précités, écartant la menace de sanction brandie par le ministre, les chefs de projet ont envisagé, dans un premier temps, de lancer plutôt un appel d'offres avant que le management de la compagnie ne décide, encore une fois, d'opter pour une consultation restreinte lotissant ce quatrième lot, le plus important de l'activité amont, en cinq sous-lots qui ont été confiés à Thales, Cegelec, Alstom et Spie. C'est-à-dire, pour un gré à gré. Lyas Hallas