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«Chakib Khelil a assumé sa responsabilité dans les contrats de télésurveillance»
Procès Sonatrach 1
Publié dans El Watan le 02 - 01 - 2016

Le tribunal criminel d'Alger a entendu, jeudi dernier, l'ex-vice président Belkacem Boumedienne et l'ex-directeur de la division production qui se sont échangés les accusations. Boumedienne affirme que le PDG, Mohamed Meziane, se référait dans toutes ses décisions à l'avis du ministre. Il avoue avoir été chargé par les agents du DRS d'informer Chakib Khelil des contrats avec Contel auxquels sont liés les enfants du PDG. Le ministre lui a répondu qu'il assumait toute sa responsabilité dans la stratégie de Sonatrach et dans les contrats de télésurveillance…
Le procès Sonatrach 1 a repris jeudi dernier au tribunal criminel d'Alger avec la poursuite des auditions. Mais avant, le président a annoncé la suspension de l'audience durant l'après-midi pour «permettre à l'assistance de rendre hommage» au défunt Hocine Aït Ahmed, leader du FFS. Il appelle à la barre Mustapha Hassani, directeur de la division production de l'activité Amont à Sonatrach. Il avait signé quatre des cinq contrats de télésurveillance octroyés de gré à gré à la société Contel Funkwerk pour équiper «en urgence» les installations de Hassi Messaoud. Il doit répondre de deux chefs d'accusation : «passation de marché en violation avec la réglementation, et participation à dilapidation de deniers publics». Il nie en bloc et ne cesse de répéter depuis la veille qu'il n'avait fait qu'apposer sa signature sur les contrats qu'il avait reçus fin prêts.
Le juge : «Vous dites qu'il y avait urgence, alors que l'étude du projet a pris plus d'une année». L'accusé : «La décision était déjà prise». Acculé par le président, l'accusé finit par affirmer qu'il avait saisi le vice-président de l'Amont, Belkacem Boumedienne, lui demandant l'accord préalable pour les projets de gré à gré. «Moi-même je n'aime pas le gré à gré.
La décision nous a été imposée», se défend-il. Le juge : «Vous aviez déclaré avoir signé sous la pression. Que voulez-vous dire ?». L'accusé : «C'était l'empressement du PDG à faire signer les contrats». Le juge : «Vous a-t-il contacté ?» L'accusé : «Avant que le premier contrat ne soit signé, il m'a demandé de prendre part à la délégation qui s'est déplacée à Hassi Messaoud pour la présentation des installations par Contel Funkwerk et à laquelle lui était présent avec le vice-président. Après la visite, il m'a demandé ce que j'attendais pour signer le contrat. C'est de cette pression que je voulais parler.»
Le juge : «Est-il vrai que lors de l'ouverture des offres commerciales, vous aviez remarqué une exagération dans les prix ?» L'accusé : «Je n'ai pas assisté à l'ouverture des offres. Je n'étais même pas au courant. C'était bien après, lors d'une réunion de négociation, le 2 janvier 2007. J'ai eu un tableau comparatif et j'ai constaté les écarts.» Le juge lui demande : «Vous aviez déclaré que c'est le vice-président Amont, Belkacem Boumedienne, qui a donné des instructions pour que les marchés ne soient pas publiés dans le Baosem...». L'accusé confirme. Il ne cesse d'évoquer les «pressions» du PDG, mais nie avoir eu connaissance de la présence des enfants de Mohamed Meziane dans le statut des sociétés de Mohamed Reda Al Smaïl.
Il martèle à chaque fois qu'il n'a fait qu'apposer sa signature sur les contrats avant de céder sa place à Mustapha Cheikh, un autre cadre de la compagnie poursuivi pour les mêmes délits pour avoir signé un contrat. Selon lui, les marchés accordés à Contel Funkwerk ne représentent que «2% de l'ensemble» des contrats accordés à la société algéro-allemande. Il dit avoir reçu une lettre transmise par le vice-président de l'activité Amont, dans laquelle il l'informait que «le marché avait été validé par le service juridique et financier, et qu'il était fin prêt pour signature».
Il s'arrête pour essuyer ses larmes. Il reprend son souffle : «J'ai reçu le dossier fin prêt…». Le juge lui demande si d'autres sociétés avaient soumissionné, et l'accusé de répondre : «J'ai su bien après qu'il y avait Vsat Siemens qui s'est retiré et Martec.» Le président : «Vous saviez que pour des montants pareils le gré à gré est illégal ?» L'accusé explique : «Au-delà de 400 millions de dinars, je dois avoir une dérogation pour signer.
Le contrat en question était de 410 millions de dinars. Je l'ai signé avec une dérogation de Belkacem Boumedienne.» Le juge : «Pourquoi ce marché n'est-il pas passé par le Baosem ? » L'accusé : «Je ne sais pas. Le projet était important. Des instructions ont été données pour le concrétiser en urgence…». L'accusé revient sur les différentes formes de procédures et qu'un règlement qui définit les conditions du gré de gré existe. Le juge : «C'est la A 48, signée par le PDG et qui a été violée». L'accusé : «Je n'ai fait que signer…».
«Le PDG ne faisait rien sans l'aval du ministre»
Le juge appelle Belkacem Boumedienne, vice-président de l'activité Amont, poursuivi les délits de «participation à association de malfaiteurs, passation de marché public en violation de la réglementation, tentative de dilapidation de deniers publics et blanchiment d'argent». Il commence par une brève présentation de sa carrière au sein de Sonatrach avant d'être nommé, en janvier 2005, vice-président, en passant par le poste de directeur de la division production.
Il se défend bien en remettant la signature des contrats dans le contexte de l'époque, marquée par la nécessité de sécuriser les installations de Sonatrach, avant le 31 décembre 2006, soit en une année seulement, ce qui pour lui était «un miracle». Il commence par lancer cette phrase : «Les 6 ans de détention m'ont permis de former des dizaines de détenus aux facultés Serkadji et Koléa (Ndlr, prisons) qui ont obtenu leurs bac et brevet d'enseignement moyen.» Puis, il revient à l'affaire. Visiblement très touché par les propos de son prédécesseur, il apporte les précisions suivantes : «Depuis 2004, chaque information liée à la sécurité est envoyée à une dizaine de destinataires. L'information sécuritaire était très fluide. Personne ne peut dire aujourd'hui qu'il n'était pas au courant.
C'est honteux qu'un cadre affirme ici qu'il ne savait rien. Moi-même j'étais au courant de tout et de toutes les instructions du ministre qui présidait l'assemblée générale de Sonatrach. Lorsqu'il y a eu l'instruction sur le choix de Contel Funkwerk pour sécuriser les installations et qu'elle a été transmise, je me suis dit pourquoi attendre jusqu'à ce que cette société nous invite, d'autant que nous avions besoin de ces équipements en urgence. J'ai donné des instructions pour faire participer nos ingénieurs à une présentation des solutions techniques proposées par Contel. Mon rôle au niveau de la division production était de les informer.
A ce titre, j'ai demandé à M. Arar, directeur de la sécurité intérieure de la compagnie, d'inviter la société pour une présentation des produits.» L'ex-vice-président précise que le ministre n'a pas cité dans son courrier la société Contel, et que le dans le courrier qui lui a été adressé par le PDG Mohamed Meziane «il est fait référence à Contel parce que cette société avait déjà obtenu le marché». Il insiste beaucoup sur «la technologie avancée» des équipements proposés, ajoutant : «Le rapport de M. Arar fait état de la satisfaction totale des cadres des solutions présentées et des visites sur sites.
A l'époque, j'étais sous enquête d'habilitation pour ma mission en tant que vice-président et j'ai proposé au PDG que M. Hassani soit nommé en tant que directeur de la division production pour me libérer de la tâche.» Il précise que dès mars 2006, il n'était plus chargé du projet, en soulignant à chaque fois que «le vice-président de Sonatrach ne signe pas». L'accusé s'interroge sur l'absence d'un élément clé dans cette affaire, en l'occurrence la direction régionale de Hassi Messaoud, «la plus concernée par le projet étant donné qu'elle est, avec la direction production, le maître d'ouvrage du projet». Le juge : «Hassani a dit qu'on lui a remis l'étude et le contrat fin prêts.» L'accusé : «Je n'ai rien compris.
C'est une offre complète. En tant que directeur de la division production, il avait le droit de demander des précisions s'il le voulait…». Le juge le fait revenir aux marchés. L'accusé : «Hassani m'a demandé les plans. J'ai signé un rapport de confidentialité. J'ai eu un rapport d'étape de la commission désignée par le directeur de la sécurité, M. Arar, qui dit que les résultats étaient excellents. Le projet pilote est né le 22 septembre 2005. J'ai saisi le PDG, il était d'accord. Mais, il voulait l'aval du ministre. Il m'a demandé un rapport pour accompagner sa lettre.» Il précise au juge que «toutes les décisions du PDG passaient par l'avis du ministre.
C'est tout à fait normal que l'on confie un tel projet de gré à gré à société». Belkacem vient de répondre à Hassani, qui avait exprimé son étonnement de voir, dans le courrier qu'il a reçu, que le projet a été donné de gré à gré. «En tant que vice-président, je l'ai informé sur le fait que le projet pilote a été accordé. En septembre 2005, une autre instruction insistant sur la réalisation rapide des installations nous est parvenue du ministre à la suite d'un grave problème de sécurité à Sidi Rzine.»
Selon lui, c'est cet incident qui a accéléré le projet pilote de Hassi Messaoud, donné à Contel, et la nécessité d'équiper toutes les installations avant la fin de 2006. «La société a donné ses preuves. Tout le monde savait qu'elle a pris le marché pilote, y compris les services de sécurité. Rien ne s'est fait en cachette», se défend l'accusé, qui ajoute : «Le 24 décembre 2005, une autre instruction, la quatrième, fait état d'une éventuelle menace d'attaque contre les sites industriels, et de ce fait ils doivent tous être sécurisés avant la fin 2006. Imaginez cette pression que nous subissions. Ils nous ont demandé un planning. Le 6 janvier 2006, le PDG nous a demandé de ramener la liste des sociétés concernées.
Contel et Funkwerk étaient les premières parmi les six ou sept présentées. J'ai demandé à la direction de la sécurité interne d'enquêter sur la société pour voir si elle n'était pas hostile à la compagnie. Avec du recul, c'était un travail titanesque. Même avec la crème de la crème, le projet ne pouvait se concrétiser avant la fin 2006. Pourtant, il l'a été.»
«Il s'agit de la sécurité d'un centre d'intelligence et d'un site que je ne citerai pas pour des raisons d'état»
Le juge : «Aviez-vous examiné le dossier de Funkwerk ?» L'accusé : «Je n'avais pas encore le feedback». Le juge : «Qui a décidé ?» «C'est le PDG qui nous a informé, avec l'aval du ministre. Le gré à gré se construit pièce par pièce. Nous ne pouvions connaître le prix qu'après avoir obtenu l'ossature des solutions.» Le juge : «Où était l'urgence ?» L'accusé : «Le cahier des charges n'existait pas puisqu'il a été finalisé le 12 juin 2006. C'est l'impératif sécuritaire qui a imposé l'urgence, surtout après l'incident de l'unité de Sidi Rzine, à Alger.
Le ministre insistait sur la sécurisation des installations. Lorsque le maître d'ouvrage, qui est le directeur de la production, me ramène un dossier ficelé, il n'y a rien à dire. C'est le premier rempart de contrôle.» Le juge : «Pourquoi l'étude a-t-elle pris une année ?» L'accusé : «Lorsqu'il y a eu l'attaque terroriste contre le site de Rhourd Enous, au Sud, nous avions recruté une quarantaine d'éléments pour assurer la sécurité interne.» L'accusé persiste à affirmer que «rien ne se cache» et que la sécurité extérieure était assurée par «des militaires qui savaient tout».
Il conclut : «Personne n'a travaillé seul. Tout le monde y a pris part. L'urgence était liée à la menace contre les biens et les personnes.» Le juge revient aux contrats. Encore une fois, l'accusé s'effondre en larmes. L'audience est suspendue pendant quelques minutes. Me miloud Brahimi veut entendre le directeur juridique de Sonatrach pour éclairer le tribunal sur la réglementation interne relative aux passations de marché. Le juge précise : «La Cour suprême a statué sur cette question. Le témoin sera entendu en temps opportun.» L'accusé reprend la parole. «Le projet de Hassi Messaoud a été façonné par le maître d'ouvrage, qui est la division production, dirigée par Mustapha Cheikh.
Quand j'ai reçu le dossier, il était complet.» L'accusé rappelle avoir signé quelque 5000 projets et que «tout était confus dans sa tête» lorsqu'il a été interpellé par les agents du DRS à l'aéroport à son retour de voyage. «Je ne savais pas ce que disais. Ce qu'ils ont écrit était faux. Sonatrach n'avait pas donné le marché en novembre 2004, date à laquelle il n'y avait rien…». Néanmoins, il confirme avoir déclaré que c'est le PDG qui a octroyé le projet à Contel. «Le projet de gré à gré est traité au niveau du maître de l'ouvrage, qui est la direction de la production.
Je l'ai validé, et Hassani en tant que directeur de la division producton l'a signé.» Il révèle : «Lorsque j'ai été interpellé, les agents du DRS m'ont demandé d'aller informer le ministre de ces contrats et du fait que les enfants du PDG étaient liés à la société Contel. Je l'ai vu. Je lui ai dit tout ce qu'ils m'ont révélé. Il m'a répondu : ‘‘J'assume toute ma responsabilité dans la stratégie de Sonatrach et les contrats qui ont été signés.'' Les installations devaient être installées avant la fin décembre 2006. Ces installations sont très importantes parce qu'elles sécurisent le CIS de Hassi Messaoud qui est un centre d'intelligence, et un autre dont je tairai le nom pour des raisons d'Etat. Heureusement que nous n'étions pas passés par les négociations à tout venant.
Cela aurait été catastrophique…». Le juge revient aux cinq contrats de Contel et les écarts des prix enregistrés. L'accusé est formel : «Les contrats de Contel n'ont pas été chers. Comment peut-on affirmer cela alors que le lot de Siemens dépassait le 10 milliards de dinars ? Le lot 4, à lui seul, valait l'ensemble des contrats de Contel. Alors où sont les écarts ?» Le juge : «Vous aviez déclaré dans un PV que Contel avait affiché des prix unitaires plus élevés que ceux de Vsat et Martec...». L'accusé : «J'ai parlé des prix unitaires. Nous étions dans une consultation restreinte et la mieux disante avait présenté une technologie très avancée. Dans le cahier des charges, il est clairement écrit que Sonatrach recherche l'offre la plus avantageuse et non pas la moins chère.
Ce qui était le cas pour Contel qui a ramené des solutions à la pointe, y compris pour l'un des sites le plus complexe de la compagnie. Ce n'est pas pour rien qu'il y a eu unanimité pour ce groupement. Il n'y a pas de responsabilité individuelle, mais collective, de commission, de groupe et de division. Tout a été public. Nous avions enregistré un peu de retard. Le ministre a demandé des comptes au PDG, et le PDG a demandé des comptes au vice-président, qui lui a saisi le maître d'ouvrage…». Le juge : «Comment avez-vous rencontré Al Smaïl ?».
L'accusé : «Lors d'une réunoin pour la consultation restreinte. Il y avait sept sociétés, parmi lesquelles Contel et les cadres de la sécurité interne.» Belkacem ne manque pas de revenir à l'importance du site sécurisé en disant : «C'est le premier joyau de la République qui a bénéficié d'installations à la hauteur de son statut….». L'accusé perd la voix. Il est en larmes. Le juge lève l'audience. Sur insistance de la défense, il décide de reprendre l'audience demain, dimanche, afin de permettre aux accusés détenus de recevoir samedi (hier) leurs avocats. Il demande aux témoins de revenir jeudi prochain.


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