La conclusion d'un accord de trêve, âprement négocié à Munich, entre la Russie et les Etats-Unis n'a amené ni le silence des armes en Syrie ni apaisé les tensions entre les partisans du président Bachar al-Assad et les soutiens à l'opposition armée, en guerre contre le régime de Damas depuis cinq ans. Entre les appels des Etats-Unis aux Russes, pour cesser leurs présumés bombardements de l'opposition dite modérée, et l'insistance de l'Arabie saoudite à intervenir au sol contre l'organisation autoproclamée Etat islamique (Daech), l'armée turque a lancé, depuis samedi, une série de frappes aériennes contre les quartiers sous contrôle des Kurdes syriens, dans la province d'Alep, frontalière avec la Turquie. Ces frappes turques ont été condamnées par les autorités syriennes. "Les attaques répétées de la Turquie à l'encontre (...) de l'intégrité territoriale de la Syrie" sont considérées par Damas comme une atteinte à la souveraineté de ce pays, où plusieurs puissances occidentales et du Proche-Orient se livrent une guerre par procuration. Dans cette guerre syrienne, qui bouclera dans un mois cinq années, chaque partie a fait le choix des groupes à classer sur la liste des mouvements terroristes qu'il faudrait exterminer pour aider la Syrie à retrouver sa stabilité politique et contribuer par-là à l'apaisement de l'ensemble de la région du Proche-Orient. Pour la Turquie, les Kurdes syriens sont aussi dangereux que ses Kurdes du Parti des travailleurs du Kurdistan. Ankara considère les Kurdes des Unités de protection du peuple comme des terroristes qu'il faut combattre, ajoutant de l'huile sur le feu au brasier syrien. Pour Bachar al-Assad, tous ceux qui ont pris les armes pour le chasser du pouvoir, que ce soient ceux de l'opposition dite modérée ou ceux qui ont rejoint Daech ou encore Al-Qaïda. Si l'Etat islamique constitue le seul ennemi commun, que toutes les parties combattent sans susciter la moindre dissension, les autres mouvements armés opérant en Syrie sont appréciés selon leur proximité avec certains acteurs extérieurs régionaux et internationaux. Ces derniers apportent leur soutien à ces mouvements et coalitions politico-armées hétéroclites au gré des intérêts géopolitiques du moment. Il en est de même pour l'Arabie saoudite et ses alliés au sein du Conseil de coopération du Golfe. Le soutien politique et financier au Front al-Nosra, la branche syrienne d'Al-Qaïda, et à d'autres groupuscules islamistes qui lui sont proches, n'est pas une illusion de l'esprit, l'ennemi commun étant Bachar al-Assad que le royaume wahhabite veut évincer du futur processus de transition en Syrie. Cette position est fortement soutenue par la France qui a fait du départ d'Al-Assad un préalable politique pour l'entame de toute discussion du régime de Damas avec l'opposition, sous l'égide de l'ONU, avant de revoir ses urgences, en classant Daech à la tête de sa liste de priorités. Du côté de Moscou, Daech est une menace avérée pour les intérêts russes en Syrie, un pays stratégique pour maintenir son influence dans la région. Mais, sur un terrain miné, personne n'empêchera les avions russes de cibler les positions d'une opposition syrienne, dont la "définition est extrêmement floue", comme l'a affirmé le politologue François Burgat, dans l'entretien qu'il a accordé à Liberté hier (voir notre édition d'hier en page 15). Une telle confusion ne peut qu'alimenter le scepticisme général qui a suivi l'annonce de l'accord de trêve de Munich. Lyès Menacer