Pour les islamistes et les conservateurs, s'il y a un ministre à abattre dans le gouvernement d'Abdelmalek Sellal, c'est bel et bien Nouria Benghabrit, la ministre de l'Education nationale. Sous les tirs croisés de ses détracteurs depuis qu'elle a été nommée ministre, Nouria Benghabrit est systématiquement mise à l'index parce qu'elle est "soupçonnée" de vouloir libérer l'école algérienne de la mainmise des idéologies islamiste et baâthiste. Les vieux démons se réveillent par peur de perdre un terrain quasi acquis à leur cause depuis de longues années. La sortie, hier, de l'Association des oulémas algériens n'est qu'un nouvel épisode de cette agitation permanente, un épisode qui intervient, aujourd'hui, à l'heure du lancement de la deuxième phase des réformes envisagées. Au mois d'août 2015, lors de la Conférence nationale sur la réforme de l'éducation, Mme Benghabrit avait formulé une recommandation pour introduire l'arabe algérien (darja) dans l'enseignement primaire. Alors que la proposition n'était même pas adoptée, Mme Benghabrit a essuyé de violentes attaques de la part des milieux politiques et médiatiques conservateurs. Ces derniers iront jusqu'à l'accuser "de rouler pour la France", car elle use de la langue de Molière dans ses interventions publiques. Mme Benghabrit répondra à ses détracteurs estimant que ces derniers "veulent maintenir le statu quo". À ses yeux, il s'agit d'un "chahut" de ceux "qui se sont ligués contre l'Algérie et nul ne peut s'ériger en protecteur exclusif du nationalisme". Devant sa détermination à aller de l'avant, l'imam autoproclamé, Hamadache, sort de sa réserve et accuse Mme Benghabrit. "La volonté d'introduire une dose d'arabe dialectal dans l'enseignement scolaire en Algérie est un projet français pour la déstabilisation de l'école algérienne", dira-t-il dans une vidéo postée sur YouTube. Et aux partis islamistes (FJD, l'Alliance de Algérie verte composée du MSP, d'Ennahda et d'El-Islah et le Mouvement pour la construction nationale) d'en remettre une couche estimant que "c'est un précédent dangereux dans l'histoire de l'enseignement en Algérie (...) de nature à faire exploser l'identité et l'unité nationales". La République bat le record du silence et aucun ministre, encore moins les élus à l'Assemblée populaire nationale (APN), n'a osé dénoncer de tels dépassements et des comportements intolérants qui nous rappellent les années 1990. Pis, un parti politique dirigé par un ministre en exercice n'a pas hésité à prendre part au lynchage. Mme Benghabrit-Remaoun ne dérange pas seulement parce qu'elle tente de réhabiliter l'école algérienne mais aussi parce qu'elle est une... femme ! Son parcours scientifique leur importe peu, ses arguments pédagogiques encore moins. Ce qui compte pour les conservateurs, c'est d'éviter que l'école algérienne redevienne ce qu'elle n'aurait jamais dû cesser d'être : un lieu d'acquisition de connaissances et d'épanouissement de la citoyenneté. FARID BELGACEM