Les détournements et les affaires de corruption ont pris une telle dimension sous le règne d'Abdelaziz Bouteflika que l'implication aujourd'hui d'un ministre de la République en exercice, dans un scandale planétaire d'évasion fiscale, est perçue en Algérie comme un banal fait divers. Le monde entier a été éclaboussé par l'affaire Panama Papers, mais pas Alger. Pendant que la justice indépendante enquête déjà dans plusieurs pays, alors que l'implication de politiques et de concitoyens n'est même pas encore avérée, en Algérie, un silence gênant est observé du côté des autorités publiques. Le fait n'est peut-être pas nouveau, puisque le pays a eu à enregistrer des scandales financiers dont les ramifications s'étendent à l'international. L'attitude des officiels a été similaire, sinon pire. Mais le fait inquiétant est que l'Algérie se dirige dangereusement vers une totale banalisation de l'immoralité financière. Au point d'ailleurs que toute révélation sur des pratiques douteuses, engageant de hauts fonctionnaires de l'Etat, est perçue comme un simple fait divers. La multiplication des scandales de détournement et de corruption sous le règne d'Abdelaziz Bouteflika, et la suite donnée aux affaires Khalifa, autoroute Est-Ouest, Sontrach I et Sonatrach II ont eu un effet doublement néfaste sur la nation. En plus des pertes occasionnées au Trésor public, il y a eu perversion de l'opinion publique. L'impunité a fini d'achever chez les citoyens tout espoir de voir un jour justice faite, donc plus rien ne choque. L'effet pervers qu'a eu la normalisation de la pratique frauduleuse sur le citoyen est telle que tout est assimilé à "du déjà vu". Les expressions allant dans ce sens sont, depuis, légion, et à chaque fois qu'une affaire scabreuse éclate au grand jour, les mêmes mots reviennent dans le vocabulaire des Algériens : "Normal, c'est rien, c'est seulement cela qu'on a volé ?..." Les Algériens ont ainsi appris à rire et à tourner en dérision ce qui, autrefois, provoquait chez eux colère et indignation. Une échappatoire imposée par la démarche sadique de voir le mis en cause libre et réhabilité, et le plaignant hors circuit ou carrément derrière les barreaux. En Islande, le Premier ministre, Sigmundur David Gunnlaugsson, a démissionné de ses fonctions sous la pression de la rue et de l'opposition, au lendemain de l'éclatement de l'affaire Panama Papers. Ayant effectué des placements offshore, et quand bien même il aurait cédé ses parts à son épouse, il lui est reproché d'avoir omis cette participation dans sa déclaration de patrimoine quand il a été élu député en 2009. En Algérie, le ministre de l'Industrie et des Mines, toujours en exercice, Abdeslam Bouchouareb, a créé, de l'aveu du gérant de ses affaires, le Français Guy Feite, une société offshore "pour gérer son patrimoine immobilier en Algérie, qu'il voulait céder à ses enfants". Selon la même source interviewée par TSA, "il voulait, par exemple, acheter un bien pour sa fille à Genève où elle travaille à Médecins sans frontières (MSF)". Abdeslam Bouchouareb n'a pas jugé utile de s'expliquer en public, comme a eu à le faire le Premier ministre britannique, David Cameron, dont le père, Ian, est cité dans le scandale Panama Papers. La rue n'a pas protesté et l'opposition ne s'est pas encore exprimée, mis à part deux partis, le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) et Jil Jadid qui ont vivement réagi. Les pouvoirs publics observent, quant à eux, un silence à la limite honteux. Pendant ce temps, l'Algérie se perd dans une "normalisation" suicidaire ! M. M.