Le traumatisme national provoqué par les images pathétiques du président Bouteflika, la lèvre inférieure affaissée, les yeux hagards, la parole difficile, est suffisamment commenté pour ne pas remuer davantage le couteau dans la plaie des Algériens outrancièrement choqués. C'est une inqualifiable forfaiture, dont sont comptables ceux qui sont en charge de l'image du chef de l'Etat. Il s'agit, en l'occurrence du droit du malade au respect de sa dignité et de son intimité. C'est un droit fondamental inscrit dans le code de la santé publique. En France, le Conseil constitutionnel lui reconnaît même une valeur constitutionnelle. Le président Bouteflika est un homme malade et, à ce titre, il a droit au respect de sa dignité, de son intimité. Dans les traditions de notre société, quand un homme est souffrant, il est soustrait aux regards publics, seuls les membres de sa famille et ses amis intimes gardent des contacts pour le soustraire aux affres de la solitude et de la douleur. Que dire alors quand il s'agit d'un président de la République. En l'occurrence, le président Bouteflika, exposé, malgré lui, à la risée de certains médias français qui ne reculent devant aucune immoralité. En homme orgueilleux et fier, deux de ses qualités, il n'aurait sans doute jamais accepté d'être montré aux Algériens dans l'état où ils l'ont vu. Qu'elles sont loin ces images du jeune et fringant diplomate chassant avec panache le représentant d'Israël des travaux de l'Assemblée générale de l'ONU ! Pourquoi le Conseil constitutionnel algérien est resté de marbre ? Il est vrai qu'on voit mal cette institution, présidée par le très lisse Medelci, élever une moindre protestation contre le traitement infligé au président Bouteflika, livré à la risée publique. N'y a-t-il pas lieu de se poser aussi la question sur le silence des milieux médicaux, face au choc des images infligées aux Algériens ? Les images posent une question d'éthique. "Quel est l'Algérien qui ne s'est pas senti mal à l'aise devant les images du Petit journal, plus encore les commentaires blessants de l'animateur - qu'on aime ou qu'on n'aime pas Bouteflika - car, après tout, il s'agit du Président de tous les Algériens et de l'image de l'Algérie ?", réagit un médecin de l'hôpital Mustapha, interrogé par Liberté. "Le président Bouteflika est un grand malade, on peut même dire que c'est un miraculé, car à l'âge qui est le sien (79 ans) on survit rarement à un AVC", nous explique encore ce médecin qui décrit ce que subit le chef de l'Etat comme une sorte d'"acharnement politique" (comme un acharnement thérapeutique) de la part de son entourage pour faire croire que l'homme n'est pas malade, qu'il exerce normalement ses fonctions. Car "reconnaître sa maladie, c'est admettre qu'il est dans l'incapacité de diriger le pays, et donc donner raison à l'opposition qui ne cesse de réclamer l'application de l'article 102 de la Constitution", ajoute ce médecin qui impute aussi la responsabilité à la famille du Président qui, selon lui, a été "interpellée". Pourquoi, aussi, les organisations des droits de l'Homme, pourtant promptes à s'emballer pour bien moins, n'élèveraient-elles pas une protestation pour dénoncer l'atteinte flagrante aux droits de l'Homme dont les coupables sont ceux qui, toute honte bue, continuent de s'abriter derrière une image abîmée du Président, juste pour s'accrocher au pouvoir. O. O.