Le rapport d'Etat américain sur les droits de l'Homme et la corruption en Algérie tombe mal pour le gouvernement algérien qui peine à se remettre du scandale des Panama Papers impliquant un de ses membres. Véritable réquisitoire contre le pouvoir algérien que celui dressé par le département américain, dans son rapport annuel publié mercredi dernier, mettant en exergue, notamment, une corruption généralisée, une justice manquant d'indépendance ou encore le piétinement des libertés individuelles et collectives. Longue d'une quarantaine de pages, la partie du rapport consacrée à l'Algérie se décline en une analyse basée sur des données collectées par la diplomatie américaine auprès d'ONG nationales et étrangères, mais aussi auprès de certains organismes étatiques, à l'instar de la CNCCPPDH de Farouk Ksentini et de l'organe national de lutte contre la corruption ou encore des informations relayées par les médias. Intitulé "La corruption et le manque de transparence au sein du gouvernement algérien", le chapitre dédié à ce fléau gangrénant les institutions est, pour le moins, accablant pour le pouvoir algérien accusé, entre autres, de "manquer de transparence" dans le traitement réservé à la série de scandales de corruption révélés au grand jour ces dernières années. Le rapport du pays de l'oncle Sam, piloté par le secrétaire d'Etat, John Kerry, qui avait eu à visiter l'Algérie l'an dernier, cite notamment les deux grands scandales de Sonatrach et de l'autoroute Est-Ouest où, malgré l'ampleur du préjudice, les premiers responsables des deux secteurs, les ex-ministres Chakib Khelil (Energie et Mines) et Amar Ghoul (Travaux publics) ne sont pas inquiétés. "Le gouvernement n'a pas pris les mesures suffisantes pour enquêter, poursuivre ou sanctionner les hauts fonctionnaires en cas de violation de la loi", est-il relevé, mentionnant "la non-application" de la loi sur la corruption prévoyant des peines allant de deux à dix ans de prison pour les hauts fonctionnaires. L'institution américaine appuie son analyse sur le dernier rapport de l'ONG Transparency International qui classe l'Algérie à la "88e place sur 168 pays" dans le domaine de la corruption. Le rapport en question pointe du doigt "une bureaucratie généralisée et le manque de contrôle du gouvernement". Impunité et justice dépendante Rappelant que les rapports des médias et l'opinion publique dénoncent en permanence "l'absence de charges contre de hauts fonctionnaires, anciens ou nouveaux", le département d'Etat US accuse ainsi le gouvernement algérien d'avoir encouragé "l'impunité". L'allusion est claire ! Dans son rapport, l'institution très écoutée du pays de l'oncle Sam, souvent décrite comme le gendarme du monde, est revenue dans le détail, citant avec minutie les coûts des préjudices et les noms accusés dans les affaires, notamment, de Sonatrach, de l'Autoroute Est-Ouest ou encore de l'Affaire d'Abdelmoumène Khelifa. À défaut d'aborder le croustillant scandale Panama Papers n'épargnant pas le gouvernement algérien avec l'implication du ministre de l'Industrie et des Mines, Abdeslam Bouchouareb, le département d'Etat US présente, en somme, l'Algérie comme... "un paradis de la corruption". Le pouvoir judiciaire n'a pas été épargné par le département d'Etat US qui l'accuse de manquer d'indépendance. Il dénonce, en effet, une justice aux ordres qui n'est "ni indépendante ni impartiale" en déplorant "l'influence" des décisions rendues. "Les liens familiaux et le statut des parties concernées influencent dans plusieurs cas les décisions de justice", lit-on dans le rapport américain. Piétinement des libertés et rétention d'informations Par ailleurs, les Américains ne manquent pas de pointer l'entrave à la liberté d'expression et de la presse ou encore la rétention d'informations au plus haut niveau de l'Etat. Ce dernier est accusé de mettre une chape de plomb sur l'information, et les "pseudo" sites web lancés au niveau des ministères et autres institutions ne servent en réalité à rien tant qu'ils ne sont "pas animés, encore moins alimentés en informations". Tandis que la liberté de la presse, ajoute le même rapport, est encore otage des pratiques d'un gouvernement. Pour mater la liberté de la presse et des médias en général, dénonce-t-on dans le rapport US, le gouvernement recourt souvent à l'application "arbitraire de certaines lois vaguement formulées" et exerce la pression sur les éditeurs à travers la publicité et les imprimeries étatiques. Le département US dénonce, en outre, la "restriction" de la liberté de parole et d'expression citoyens, citant les exemples des militants pour les droits des chômeurs incarcérés, pour certains, pour avoir osé un simple poste sur les réseaux sociaux... Bien que la Constitution prévoie le droit de réunions, de rassemblements pacifiques, le département d'Etat US dénonce le gouvernement qui continue de "restreindre" ce droit, en maintenant notamment l'interdiction des manifestations dans la capitale, Alger. Cela, tout comme il s'élève contre la répression de toute manifestation pacifique à travers le reste du territoire. Le rapport sans concession du département US aborde, en outre, plusieurs questions liées aux droits politiques, cultuels, culturels et autres que l'Etat algérien "ne respecte pas, ou très peu". Ainsi, de la restriction des activités politiques et l'arrestation "arbitraire" de militants au "non ou peu de respect" de la liberté du culte, en passant par le phénomène du kidnapping d'enfants jusqu'à la détention préventive "arbitraire", le droit des femmes, de certains activistes et autres opposants au pouvoir, ou encore les conditions carcérales "déplorables", rien n'a échappé au département d'Etat US pour accabler le pouvoir incarné par le président Abdelaziz Bouteflika. Y sont cités, quasiment, toutes les affaires et les événements ayant marqué, à ce titre, la scène nationale ces derniers temps, qui sont, par ailleurs, largement relayés par les médias. La situation des migrants pointée du doigt L'autre volet abordé dans ce 40e rapport du département d'Etat US est relatif, par ailleurs, à la situation des migrants à propos desquels le département d'Etat américain alerte le gouvernement algérien sur le risque de leur exploitation sur le marché du travail face à l'inexistence d'un cadre législatif leur permettant d'accéder au droit d'asile. Le problème des réfugiés dont le nombre a considérablement augmenté depuis l'avènement des conflits, entre autres, dans les pays du Sahel et en Syrie, déjà soulevé par nombre d'ONG, embarrasse, en effet, plus que jamais, le gouvernement algérien. D'après le rapport US, les services du HCR à Alger enregistrent "quelque 200 à 300 demandes d'asile par mois, déposées principalement par des Syriens, des Palestiniens et des sub-Sahariens". Cela, quand bien même ce droit ne leur serait pas permis en Algérie. Farid Abdeladim