Résumé : Amar quitte l'hôpital pour aller acheter des médicaments. À son retour, il trouve sa femme en sanglots devant un lit vide. On venait de reprendre Ghania au bloc, car elle faisait une hémorragie. Plus mort que vif, le jeune homme apprendra quelque temps plus tard que sa fille n'avait pas survécu à sa seconde opération. Le chirurgien lui donne une tape dans le dos et s'éloigne. Amar se retrouve seul face à cette nouvelle qui venait de l'ébranler. Quelques infirmiers et aides-soignants quittèrent le bloc. Puis il entendit grincer un chariot. On transférait sa fille à la morgue. Il rugit tel un lion blessé et soulève le pan de drap qui recouvrait son visage. Ghania semblait dormir paisiblement. Ses yeux étaient clos, et ses traits sereins. N'y tenant plus, il éclate en sanglots. Quelqu'un en fera de même derrière lui. Il se retourne et reconnaît Houria. Cette dernière le tire par le bras, avant de perdre connaissance. Au village, c'était la consternation. Personne ne croyait encore au drame qui venait de frapper pour la seconde fois la famille de Amar. La ferme devint un véritable relais. On venait de partout présenter les condoléances aux parents. Houria semblait inconsolable. Elle ne cessait de se frapper la poitrine et d'accuser le mauvais œil des envieux dans son malheur. Amar, les traits tirés et le regard éteint, fumait cigarette sur cigarette. Il venait de perdre son deuxième enfant. Que ressent-on lorsqu'on perd ses enfants, l'un derrière l'autre ?, ne cessait-il de se demander. Une tristesse ? Un chagrin ? Une lassitude ou un vide ? Il vivait toutes ces choses en même temps. Une brume s'était formée dans son cerveau. Il n'arrivait plus à se concentrer sur quoi que ce soit. Il recevait les condoléances sans broncher. Quelqu'un lui suggère d'aller se reposer. Il ne répondit pas, se contentant de prendre une autre cigarette et de l'allumer. Encore une autre puis une autre. Jusqu'à ce que tout le paquet y passe. Alors il se lève en titubant pour quitter la ferme et se diriger vers les champs. On venait d'enterrer Ghania. Ghania, sa petite chérie. Celle qui aimait lui caresser le visage ou l'embrasser en lui reprochant d'avoir des épines qui lui entraient dans la peau. Elle aimait se mettre sur ses genoux et se blottir dans ses bras pour s'endormir, ou se réveiller dans la nuit en l'appelant à son chevet. Elle devait boucler ses cinq ans dans quelques mois ! Il se laisse tomber à travers les épis de blés et se remet à sangloter. Il pleura durant de longues heures. Puis, les yeux taris, il se relève pour courir au cimetière. Ghania reposait maintenant dans une tombe fraîchement creusée, et dont l'amas de terre se distinguait de loin. Amar s'agenouille et passe une main caressante sur les grumeaux qui ornaient le dessus. Ghania l'entendait-elle ? Il tenta de parler, mais ne put prononcer aucun mot. Lui aussi, il était mort. Mort depuis Melaaz peut-être. Il avait tenté de survivre, et cela aurait pu continuer. Mais maintenant, il était réellement mort. Il n'y avait plus de vie en lui. Il était un corps vide qui recherchait une âme. Quelques semaines passent. La vie avait repris son cours normal à la ferme. Chacun avait tenté de dépasser le cap douloureux de la disparition de la petite Ghania. Houria ne pleurait plus. Elle se contentait d'évoquer quelques souvenirs, en berçant le petit Aïssa dans ses bras. Amar se préparait à repartir en France, le cœur lourd et l'âme en peine. Mais Meriem était inconsolable. Elle n'arrivait pas à admettre que sa cadette n'était plus de ce monde. Dans la nuit, elle faisait des cauchemars et se réveillait souvent en nage. Elle appelait alors son père qui se voyait dans l'obligation de rester auprès d'elle jusqu'au matin. Rassurée par sa présence, elle se calmait et prenait sa main pour se rendormir. L'heure du départ approchait. Amar prépare ses bagages. Il avait réservé deux places sur le vol de Paris et n'attendait plus que le taxi qui les déposera à l'aéroport. Houria se rendit compte que son mari allait la quitter pour rentrer en France, et ne reviendra sûrement pas avant longtemps. Elle s'accroche alors à ses basques et le supplie encore une fois de l'emmener avec lui. Mais il se dégage d'elle et secoue la tête : -Non ! Non, Houria. Tu ne m'accompagneras pas. Je suis déjà assez abattu pour supporter encore tes caprices. -Tu n'y penses pas Amar. Je vais me retrouver seule avec le petit. J'ai peur qu'il lui arrive quelque chose à lui aussi, alors que tu es absent. -Cesse de provoquer les malheurs. Tu ne seras pas seule. Taos va venir te tenir compagnie. Je l'ai déjà prévenue. Elle consent à venir vivre avec sa petite famille à la ferme. -Taos ? C'est une étrangère. -Ne racontes pas de bêtises. C'est à elle que tu fais appel pour t'aider dans les travaux ménagers et partager les longues nuits d'hiver. -Oui. Mais j'avais encore Ghania. Amar refoule ses larmes et déglutit : -S'il te plaît Houria, laisse-moi partir en paix, je ne peux rien faire de plus pour toi. (À suivre) Y. H.